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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

effet a une vertu, pour ainsi dire infinie, car la vertu de chaque cause atteint chacun des effets. Au chapitre De radiis elementorum, voici ce qu’il dit : Nous devons affirmer que toute chose qui, dans le monde des éléments, possède l’existence actuelle, émet de toute part des rayons qui remplissent le Monde entier ; partant, chaque lieu du Monde reçoit des rayons provenant de toutes les choses qui existent actuellement dans ce Monde…

» Si n’importe quelle chose de ce Monde était pleinement connue, on aurait, par là même, connaissance du Monde entier ; ainsi dit-il au chapitre De radiis stellarum que la condition d’un seul individu de ce Monde, si elle était pleinement connue, refléterait comme un miroir la condition totale de l’harmonie céleste…

» Tout arrive par nécessité. Toutes choses étant pleinement soumises au mouvement des corps célestes, et ce mouvement étant nécessaire, tout advient nécessairement. Aussi dit-il, au chapitre De theorica possibilium, que toutes les choses qui sont, se font et adviennent, dans le monde des éléments, sont causées par l’harmonie céleste ; partant, toutes les choses de ce monde, ayant rapport à cette harmonie, procèdent d’une manière nécessaire…

» Tous les éléments de ce monde, tous les individus qui existent dans la sphère sujette à l’action et à la passion, il les prive de toute action propre. Selon l’opinion du vulgaire, dit-il dans son chapitre De theorica possibilium, une chose composée d’éléments, par ses rayons et par sa force, agit sur une autre chose analogue ; mais, selon l’exacte vérité, ce n’est pas cette chose qui agit ; c’est la seule harmonie céleste qui opère en toutes choses. »

De ce déterminisme universel, Al Kindi n’exempte pas la volonté de l’homme. « Il croit[1] que les mouvements de la volonté sont soumis aux créatures corporelles, aux corps célestes par exemple. »

De ce fatalisme, il tire la conséquence pratique qu’en tirait maint stoïcien, un Lucain par exemple[2] : « L’homme qui espère, désire ou craint quelque chose est un ignorant, car ces sentiments n’auraient de raison d’être qu’aux sujets d’événements qui pourraient arriver autrement qu’ils n’arrivent. »

  1. Incerti Auctoris Op. laud., cap. X, 9 ; éd. cit., p. 19.
  2. Incerti Auctoris Op. laud., cap. X, 4 ; éd. cit., p. 18.