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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

moins soit ceci, soit cela ; mais l’opération du Ciel fait qu’il incline plus promptement à choisir ce à quoi il est apte.

» Va-t-on, dès lors, mépriser cette science en prétendant que, par là, elle semble détruire le libre arbitre ? Assurément, pour la même raison, il faudra détruire la médecine ; par le magistère de la médecine, en effet, on juge si les causes d’ici-bas donnent, à un homme, aptitude à ces sortes de choses ou le privent de cette aptitude. »

Saint Thomas d’Aquin avait dit de même[1] : « Comme le médecin peut juger de la bonne qualité de l’intelligence par la complexion du corps, qui en est une disposition prochaine, ainsi l’astrologue en peut juger par les mouvements des corps célestes qui sont la cause éloignée de cette disposition. » Du reste, la doctrine du Speculum Astronomiæ, en ce passage, est identique à celle de Saint Thomas et de tous les théologiens du xiiie siècle.

L’auteur du Miroir astronomique arrive enfin[2] aux « interrogations » touchant les futurs contingents ou, comme il dit, les « futurs possibles ». Les réponses que l’Astrologie donne à de telles interrogations n’impliquent-elles pas négation du libre arbitre ?

« Les interrogations relatives aux futurs contingents qui sont soumis au libre arbitre sont de deux sortes. Il y a des interrogations de fait : Qu’adviendra-t-il de telle chose ? Il y a des interrogations de conseil : Vaut-il mieux faire ceci ou cela ?

» Les interrogations de conseil ne détruisent nullement la liberté du choix, mais, plutôt, elles la dirigent et la conseillent. Ainsi en est-il de l’interrogation qui concerne une négociation : Me serat-elle utile ou non ? De deux choses, quelle est celle qu’il vaut mieux acheter ? Quel parti dois-je prendre : vaut-il mieux m’en aller ou rester ?…

» Quant aux interrogations de fait, déterminer de quelle manière elles peuvent coexister avec le libre arbitre est chose fort difficile.

» Voici, par exemple, une interrogation portant sur une chose qu’on doit demander à quelqu’un : La donnera-t-il ou ne la donnera-t-il pas ? Lors même que mille signes auraient indiqué qu’il ne la donnera pas, il pourra cependant la donner ; et lors

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Summa contra Gentiles, lib. III, cap. LXXXIV ; Quod corpora cælestia non imprimant in intellectus nostros.
  2. Speculum Astronomiæ, cap. XIII.