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L’ASTROLOGIE CHRÉTIENNE

manière nécessaire ; on peut dire, toutefois, qu’il adviendra la plupart du temps, en sorte que ce qu’on préjuge de l’avenir est vrai, mais point nécessaire. C’est là un jugement intermédiaire entre l’impossible et le nécessaire.

» Dans les circonstances où l’on ne peut formuler un jugement de ce genre, on pourra facilement, toutefois, rendre un jugement universel ou bien un jugement intermédiaire entre l’universel et le particulier. Ainsi par le jugement universel qu’on a porté, dans la mesure du possible, sur une personne publique comme le prince ou comme le conseiller du prince dans un certain état ou dans un certain pays, on pourra, bien souvent, formuler un jugement particulier touchant les faits de cette république ; car, nous l’avons dit, il est plus facile de juger d’une communauté que d’une personne isolée…

» Voilà ce que j’ai voulu dire pour écarter de la Mathématique, au sujet de ces jugements, toute note d’infamie. Par là, tout savant voit clairement qu’en ce domaine, la véritable Mathématique ne mérite aucun blâme ; qu’il la faut, au contraire, pleinement embrasser et chérir, à cause des glorieux services que peuvent rendre les jugements de la Mathématique véritable, qui ne contredit en rien à la vérité. »

Roger Bacon vient de présenter, de ce qu’il appelle la véritable Mathématique, une défense qu’eût pu contresigner Saint Thomas d’Aquin ; des considérations exposées par l’Opus majus, il n’en est aucune qui ne se retrouve très exactement dans la Summa contra Gentiles.

Au pape Clément IV, Bacon va maintenant soumettre une pensée à laquelle Saint Thomas d’Aquin n’avait pas fait la moindre allusion.

« J’ai montré, dit-il[1], quelle est la puissance de la Mathématique à l’égard de la Philosophie, de la Science des choses d’ici-bas, de la Théologie, partant de la Science tout entière ; je l’ai montré en considérant la Mathématique en elle-même et d’une manière absolue ; je le veux montrer maintenant en considérant ce par quoi cette science a trait à l’Église de Dieu, à la république des fidèles, à la conversion des infidèles, à la répression de ceux qu’on ne peut convertir.

» La Mathématique est utile à l’Église en une foule de circonstances qu’il n’est pas possible d’énumérer à présent ; je

  1. Roger Bacon, loc. cit., éd. Jebb, p. 160 ; éd. Bridges, pp. 253-254.