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L’ASTROLOGIE CHRÉTIENNE

« Lors même, dit-il[1], qu’on aurait à tenir pour coupable la partie de l’art judiciaire qui traite des choses humaines, l’autre partie de cet art, celle qui traite des choses naturelles et des choses célestes, n’offre rien qui contredise à la foi.

» Mais, touchant les choses humaines, les mathématiciens véritables n’ont pas la présomption de rien affirmer comme certain ; ils se bornent à considérer comment l’action du Ciel altère le corps et comment l’altération du corps excite l’âme à l’accomplissement de certains actes soit privés, soit publics, bien que la liberté de notre choix demeure sauve en toutes ces circonstances (salva tamen in omnibus arbitrii libertate). L’âme raisonnable, en effet, n’est jamais forcée d’accomplir les actes qu’elle produit ; mais elle peut être puissamment induite et excitée à consentir (ut gratis velit) aux choses vers lesquelles incline la force céleste ; ainsi voyons-nous les hommes, sous l’influence de la société, des conseils, de la crainte, de l’amour, d’autres mobiles de ce genre, apporter de grands changements à ce qu’ils avaient, d’abord, décidé, et consentir enfin à ce qu’ils ne voulaient point faire, sans qu’ils y soient cependant contraints…

» Ne voyons-nous pas, d’ailleurs, que les espèces et vertus émanées des choses d’ici-bas et qui apportent à nos sens quelques changements, que même les espèces émanées des choses visibles ou des sources sonores qui modifient si faiblement le corps, suffisent, cependant, à exciter les hommes, à leur faire vouloir ce dont ils n’avaient, jusque-là, nul souci, et, parfois, à leur faire vouloir si fortement qu’ils ne tiennent plus compte ni^de la mort, ni de l’infamie, ni d’aucun sujet de crainte, pourvu qu’ils accomplissent leurs volontés…

» Combien plus puissantes sont les vertus des Cieux, les espèces qui émanent des Cieux et des astres, pour faire impression sur le corps et sur les organes l L’altération profonde des organes excitera fortement l’homme à quelque acte, dont tout d’abord, il ne se souciait pas ; et toutefois, son libre arbitre demeurera sauf. Les vertus des Cieux, en effet sont plus fortes que celles des choses d’ici-bas, qu’elles agissent sur la vue, sur l’ouïe ou sur les autres sens ; ces vertus des Cieux, en effet, peuvent changer non seulement les accidents, mais encore les substances ; elles sont capables de corrompre et de détruire toutes choses ici-bas…

  1. Roger Bacon, loc, cit., éd. Jebb, pp. 156-159 ; éd. Bridges, pp. 249-253.