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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

selon les capricieuses fantaisies de son instabilité, à l’action des corps célestes ; cette supposition eût été certainement rejetée par Avicenne ; "en ïa lui prêtant, c’est sa propre pensée que Bacon nous fait connaître et qu’il veut renforcer d’une puissante autorité ; cette pensée de Bacon, c’était également, nous l’avons vu, celle de Saint Thomas d’Aquin.

Bacon poursuit en ces termes[1]:

Les mathématiciens véritables « savent que Dieu peut, par son ordre, changer toutes choses selon sa propre volonté; aussi, à la fin des avis qu’ils émettent, ont-ils toujours soin d’adjoindre cette formule:Il en sera ainsi, si telle est la volonté de Dieu.

» D’autre part, ils savent et attestent que l’âme raisonnable peut changer ou empêcher une bonne part des effets des étoiles, de ceux, par exemple, qui concernent les maladies, les épidémies causées par le chaud ou le froid, la famine et nombre d’autres calamités…

» Tout cela, et toutes autres choses de ce genre, bien considérés, il est manifeste que les véritables mathématiciens, astronomes ou astrologues, qui sont en même temps philosophes, n’admettent aucunement la nécessité ni le jugement infaillible au sujet des événements contingents que renferme l’avenir. Partant, quiconque leur attribue ces opinions est manifestement convaincu d’ignorance en philosophie ; il condamne la vérité qu’il ignore; par là, il pèche de deux manières, car il parle de ce qu’il ne sait pas et, en outre, il blasphème contre la vérité.

» Mais ceux qui gardent la vérité et rejettent l’erreur condamnent les mathématiciens adonnés à la Magie, qui ne sont pas des philosophes, mais qui contredisent à la philosophie aussi bien qu’à la foi… C’est contre eux, et non contre les véritables mathématiciens que les Saints ont parlé. Cela est manifeste, si l’on observe ce que ces Saints ont dit. La seule chose qu’ils réprouvent est celle-ci:Les étoiles imposent une nécessité aux choses contingentes et particulièrement aux mœurs et aux actes des hommes; elles permettent d’en donner, dans tous les cas, un jugement infaillible. »

Au sujet de la prévision des actes humains par les astrologues, Bacon tient un langage entièrement conforme aux opinions de Saint Thomas.

  1. Roger Bacon, loc. cit., éd. Jebb, pp. 154-155 ; éd, Bridges, vol. I, p. 246.