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L’ASTROLOGIE CHRÉTIENNE

jugement, c’est d’une manière universelle ; il ne peut donner qu’un jugement intermédiaire entre le nécessaire et l’impossible, et il ne saurait donner, dans tous les cas un jugement arrêté. Aussi Avicenne qui a complété les œuvres de Ptolémée, comme il le dit lui-même au prologue de son livre intitulé Sufficienta, Avicenne, dis-je, montre au deuxième traité de sa Métaphysique, que l’Astrologue ne peut ni ne doit donner de jugement certain dans tous les cas, à cause de l’instabilité de la matière soumise à la génération et à la corruption ; celle-ci, en effet, n’obéit pas en toutes circonstances à la force céleste. »

Dans son désir de présenter sa doctrine comme la pensée commune où aboutissent tous les enseignements des philosophes et des astronomes, Bacon renverse entièrement le sens des propos d’Avicenne, dont Saint Thomas d’Aquin avait beaucoup plus justement signalé le fatalisme absolu. En effet, au lieu même[1] que cite le Franciscain anglais, voici quelles sont les propres paroles d’Ibn Sinâ :

« Nos volontés sont après n’avoir pas été ; or, toute chose qui existe après n’avoir pas existé a une cause ; donc toute volonté qui est en nous a une cause ; les causes de notre volonté ne peuvent former une série qui tende à l’infini ; elles aboutissent à des extérieures, c’est-à-dire à des causes terrestres ou célestes ; mais les causes terrestres remontent aux causes célestes ; la collection de toutes ces choses provient donc nécessairement de la nécessité qui caractérise la volonté divine.

» Le hasard provient simplement du concours de toutes ces causes ; si vous analysez toutes choses, toutes choses se trouveront assurément ramenées à des principes dont la nécessité descend de Dieu…

» S’il était possible qu’un homme connût toutes les choses qui se produisent [en ce moment] au Ciel et sur la terre et sût quelles sont les natures de ces choses, il saurait certainement quels sont les événements futurs et quelles en sont les particularités. — Si autem possibile esset alicui hominum scire omnia es quæ fiunt in cælo et in terra et naturas eorum, sciret utique quæ et qualiter sunt futura. »

À ce fatalisme si formel et si précis, rien de plus opposé que la faculté, accordée à la matière, de se soumettre ou d’échapper,

  1. Metaphysica Avicenne sive ejus prima philosophia. Colophon : Explicit metaphysica Avicenne… impressa Venetiis per Bernardinum Venetum expensis viri Jeronymi duranti, anno domini 1499. Lib. II, tract. X, cap. I, fol. suivant le fol. sign. i III, col. b.