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L’ASTROLOGIE CHRÉTIENNE

êtres doués de libre arbitre ; c’est encore parce que les corps doués de matière, les corps soumis à la génération et à la corruption sont incapables, par nature, de prendre place dans l’ordre prescrit par un déterminisme absolu. C’est ce que Saint Thomas vient de nous expliquer. C’est ce qu’il répète dans un de ses quolibets[1].

En ce Quolibet, le Doctor communis examine ce que c’est que le Destin et si toutes choses y sont soumises.

Il rappelle comment « certains philosophes réduisent le Destin à n’être qu’un enchaînement de causes. Ainsi les Stoïciens disent qu’il n’est rien qui n’ait sa cause, et que la cause une fois posée, il est nécessaire de poser également l’effet. Si donc tel ou tel effet s’est produit, c’est que cet effet avait une cause ; cette cause avait une cause à son tour, et ainsi de suite…

» D’autres réduisent tout cela à une autre cause que constituent les corps célestes ; ils prétendent que tout arrive nécessairement en vertu de l’action de ces corps ; le Destin, disent-ils, n’est pas autre chose que la force qui provient de la position des astres.

» Mais cette thèse est fausse de deux manières.

» Elle est fausse, d’abord, en ce qui concerne les choses humaines qui proviennent de l’intelligence. L’intelligence, en effet, étant une vertu incorporelle, n’est soumise à l’action d’aucun corps. Supposer que l’âme est soumise à la force des corps célestes, c’est tout simplement admettre que l’intelligence ne diffère point du sens… Toutefois, d’une manière accidentelle et occasionnelle, l’âme est soumise au Ciel ; l’intelligence, en effet, est affectée par les passions du corps ; elle n’est cependant pas mue par le corps d’une manière nécessaire.

» Cette thèse est fausse, en second lieu, parce que, dans les choses naturelles, beaucoup d’événements se produisent qui n’arrivent pas en vertu de l’action nécessitante du Ciel, mais qui adviennent accidentellement et n’ont pas de cause. — 2o Quia multa in rebus naturalibus contingunt quæ non accidunt ex necessitate cæli, sed per accidens, et non habent causam. »

À l’enchaînement fatal du déterminisme stoïcien, Alexandre d’Aphrodisias ne soustrayait que les actes humains, résultats d’un libre choix de la volonté[2]. « Ce qui est ainsi produit, disait-il, n’est pas produit sans cause ; il a sa cause en nous ; car l’homme

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Quæstiones quodlibetales, Quodlib. XII, art. IV : Utrum omnia subsint fato.
  2. Voir : Première partie, ch. XIII, § V ; t. Il, pp. 300-302.