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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

« Non seulement, écrit-il, les corps célestes ne sauraient imposer la nécessité au choix de l’homme, mais encore, au sein des choses d’ici-bas, les effets corporels ne procèdent pas des corps célestes d’une manière nécessaire. En effet, les impressions des causes naturelles se trouvent, dans les effets qu’elles produisent, de la manière qui convient aux sujets qui les reçoivent. Or les choses d’ici-bas sont choses coulantes ; elles ne se comportent pas toujours de la même façon, à cause de la matière qui est en puissance de formes diverses, à cause de la contrariété qui oppose entre elles leurs formes et leurs vertus. Partant, les impressions des corps célestes ne sauraient être reçues dans les choses d’ici-bas à la façon d’une nécessité.

» D’une cause éloignée, l’effet ne résulte pas nécessairement, à moins que la cause intermédiaire ne soit, elle aussi, nécessaire… Or les corps célestes ne sont que des causes éloignées ; les causes prochaines des effets qui se manifestent ici-bas sont les vertus actives et passives qui se rencontrent dans les corps inférieurs ; ces vertus ne sont pas causes nécessaires mais contingentes ; elles peuvent, du moins dans quelques cas, faire défaut ; les effets des corps célestes ne procèdent donc pas d’une manière nécessaire dans les corps d’ici-bas…

» D’une multitude de choses contingentes, on ne saurait faire un ensemble nécessaire ; chacune des choses contingentes pouvant manquer de produire son effet, il en est de même de leur ensemble ; or chacun des effets qui, dans le monde sublunaire, sont produits par l’impression des corps célestes, est un effet contingent ; la connexion mutuelle de tous les effets produits ici-bas par l’impression des corps célestes ne peut donc être nécessaire ; il est manifeste, en effet, que chacun de ces effets peut être empêché.

» Enfin les corps célestes agissent d’une manière naturelle ; ils requièrent une matière sur laquelle s’exerce leur action ; partant, ce que requiert cette matière ne peut être ôté de l’action des corps célestes. Mais la matière sur laquelle agissent les corps célestes, ce sont les corps inférieurs qui, par leur nature, sont sujets à la corruption ; de même qu’ils peuvent cesser d’exister, ils peuvent cesser d’agir ; il est dans leur nature de ne pas produire leurs effets d’une manière nécessaire. Dès lors, les effets des corps célestes dans les corps d’ici-bas n’arrivent pas d’une manière nécessaire. »

Si le monde sublunaire ne se soumet pas aux lois d’un inflexible destin, ce n’est pas seulement parce qu’il contient des