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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

les complexions des corps, il paraît qu’elles ont aussi pouvoir sur la complexion de l’âme et sur le libre arbitre. » — L’action des astres sur le libre arbitre ne s’exerce donc « que par contre-coup (per consequens), en tant que la complexion [du corps] entraîne et incline le libre arbitre vers certains actes. »

» Partant si les astrologues peuvent pronostiquer les évènements qui surviendront dans la vie d’un homme, il faut répéter avec Saint Augustin que ces connaissances « leur ont été plutôt révélées par les démons que par les mouvements des corps supérieurs. Nous pouvons dire, toutefois, que rien n’empêche la faiblesse qui doit affecter le développement d’une certaine vie d’être marquée de force et d’être soutenue par les astres ou bien, au contraire, de trouver en eux un empêchement ; mais on n’en peut dire autant du libre arbitre ; en sorte que l’action causale des astres commence par le corps et n’atteigne point l’âme si ce n’est par l’intermédiaire de l’inclination qui vient du corps. »

Ces propos d’Albert le Grand sont extrêmement semblables à ceux que tient Saint Bonaventure.

« Les divers luminaires, demande Saint Bonaventure[1], produisent-t-ils sur les choses corporelles, des impressions diverses ? »

« Les luminaires célestes, répond-t-il, font impression sur les éléments et sur les corps formés au moyen de ces éléments ; et je ne dis pas une impression unique, mais une impression aux modes multiples…

» On objecte qu’ils ne font aucune impression parce qu’ils ne sont que des signes. À celà, il nous faut répondre : L’Écriture ne dit pas qu’ils aient seulement pour objet de signifier ; non seulement ils ont le pouvoir de signifier la cause, mais ils en ont l’efficace. Si F Écriture exprime qu’ils sont des signes plutôt que des causes, c’est parce qu’ils ne sont ni causes nécessaires ni causes suffisantes ; voilà pourquoi elle leur attribue de préférence le rôle de signes. »

« Ces impressions[2] des luminaires ont-elles quelque effet sur la diversité des mœurs humaines ? »

« Que les astres jouent le rôle de causes dans les mœurs des

  1. Sancti Bonaventuræ In secundum librum Sententiarum disputata, dist. XIV, pars V, quæst. II : Utrum diversa luminaria habeant diversas impressiones super corporalia.
  2. Saint Bonaventure, loc. cit., quæst. III : Utrumex impressionibus luminarium causetur in hominibus diversitas morum.