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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

nécessaire, en effet, qu’elle penche dans le sens des impressions et des passions éprouvées par le corps et qu’elle les suit. »

Dans la doctrine d’Alexandre de Alès, nous reconnaissons nettement les quatre thèses que nous avions formulées.

Que les astres ne soient pas les causes nécessitantes et uniques de tout ce qui se fait sous la sphère de la Lune ; que l’action de ces causes se combine avec l’efficace d’autres causes, indépendantes des premières et qui ont leur siège dans le monde inférieur, c’est une doctrine qu’Alexandre de Alès avait déjà rencontré l’occasion d’émettre. Il avait, en effet rappelé cette opinion qu’il attribuait au Philosophe[1] :

« Les corps supérieurs ont chacun leur révolution ; selon la diversité que présente la disposition de ces corps les uns par rapport aux autres, des effets différents en proviennent. »

« Si donc des positions et configurations semblables se reproduisent, poursuit notre auteur, est-ce qu’il en proviendra, de nouveau, un effet semblable ? S’il en était ainsi, toutes choses se trouveraient rappelées à leur état primitif lorsque la Grande Année serait révolue ; on appelle, en effet, Grande Année, le temps au bout duquel toutes les étoiles atteignent de nouveau l’état à partir duquel elles ont, pour la première fois, commencé de se mouvoir. »

À l’encontre d’une telle doctrine, Alexandre fait cette objection :

« Les effets qui procèdent en ce monde-ci ne procèdent pas seulement des causes supérieures, mais aussi des causes inférieures ; lors-même, donc, que les causes supérieures reviendraient toutes à un état semblable, les causes inférieures ne reviendraient pas semblablement et, par conséquent, l’effet ne serait point le même ; car en cette circonstance, les effets suivent plutôt la cause inférieure que la cause supérieure. »

Dès là que les astres ne sont plus que d’une manière partielle causes des évènements de ce monde ; qu’il y a, sous la sphère de la Lune, des causes autonomes soustraites au gouvernement nécessaire des circulations d’en-haut, l’axiome péripatéticien sur lequel reposait l’Astrologie perd sa rigidité ; il devient compatible avec une religion qui croit au libre arbitre humain et requiert, dans le Monde, une part de contingence.

C’est bien ce qu’admettait Albert le Grand.

  1. Alexandri de Ales Summa, pars secunda, quæst. XIV, art. I.