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LA PREMIÈRE CHIQUENAUDE

qu’il a une inclination naturelle à se mouvoir de la sorte lorsqu’il est hors de son lieu. »

L’impetus qu’au moment de la création, Dieu a communiqué à un orbe céleste ne trouve, dans cet orbe, aucune inclination qui lui soit contraire ; on devra donc dire que cet impetus est naturel, que c’est une vertu ou propriété naturelle que Dieu a conférée à l’orbe en même temps qu’il lui a donné l’existence.

Cette propriété ou vertu naturelle, à quoi la comparera-t-on ?

Nous avons vu[1] que l’impetus communiqué à un projectile recevait volontiers le nom de légèreté accidentelle s’il était dirigé vers le haut, de gravité accidentelle s’il était dirigé vers le bas.

Dès lors, l’impetus naturel donné par Dieu aux sphères célestes pourra être comparé à la pesanteur et à la légéreté naturelles qu’ont reçues en apanage les corps de ce bas monde ; on pourra dire que le mouvement incessant des Cieux, dû à cette vertu naturelle, est un mouvement naturel au même titre que le mouvement par lequel un corps grave ou léger regagne le lieu propre dont il a été violemment écarté.

Cette proposition : Les Cieux sont mus de mouvement naturel, doit, en vertu des principes admis par la Physique parisienne du xive siècle, être regardée comme l’exact équivalent de cette autre proposition : Les cieux sont mus par l’impetus que Dieu leur a communiqué au moment de la Création.

Or, la nouvelle forme de cette proposition ne heurte pas la tradition péripatéticienne moins fortement que la première.

Que les Cieux fussent mus de mouvement naturel tout comme le grave qui tombe ou le corps léger qui monte, c’est une supposition qu’Avicenne avait formellement condamnée. « Le mouvement n’advient à la nature, disait-il[2], qu’en vertu de l’existence d’une disposition non naturelle. Ce peut être une disposition qualitative ; ainsi de l’eau a pu être échauffée par violence. Ce peut être une disposition quantitative… Ce peut-être une disposition locale ; ainsi en est-il quand une pierre est jetée en l’air. Il en est semblablement des mouvements relatifs aux autres catégories… Dès lors, le mouvement circulaire ne peut être un mouvement naturel ; s’il en était un, en effet, il irait d’une disposition non naturelle à une disposition naturelle et, lors-

  1. Vide Supra, p. 279.
  2. Metaphysica Avicenne Sive eius prima philosophia, lib. II, tract. IX, cap. II : Quod propinquus motor celestium non est natura nec intelligentia, sed anima, et quod principium longinquum est intelligentia.