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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

» Il faut concevoir qu’il en est ainsi, toute proportion gardée (proportionaliter) dans le cas, que nous considérons, du mouvement naturel d’un corps naturel vers son lieu propre. » Par là Albert entend évidemment qu’en ce cas, les deux tendances de la forme naturelle et de l’impetus étant de même sens, l’impetus croît constamment.

« Si cette meule pouvait durer indéfiniment sans diminution ni altération, si aucune résistance ne venait corrompre cet impetus qui a été engendré dans la meule, peut-être que cet impetus lui communiquerait un mouvement perpétuel.

» Si l’on admettait cette manière de voir, il serait inutile d’imaginer des intelligences propres à mouvoir les orbes célestes. On pourrait, en effet, tenir le langage suivant : Lorsque Dieu créa les sphères célestes, il mit chacune d’elles en mouvement comme il lui plut ; et elles se meuvent, maintenant encore, par l’impetus qu’il leur a communiqué de la sorte ; cet impetus ne subit ni corruption ni diminution, car le mobile n’a aucune inclination qui lui soit contraire, en sorte qu’il n’y a ici aucune cause de corruption. »

Toute la fin de ce passage reproduit presque mot pour mot ce que Buridan avait écrit dans ses Questions sur le Traité de Ciel.

Nicole Oresme admet, lui aussi, la théorie de Buridan ; mais dans l’énoncé qu’il en donne, une nuance s’est introduite, dont il convient de rendre compte.

Lorsqu’on jette un grave en fuir, a dit Buridan[1], « l’impetus est violent et non naturel au mobile ; il ne convient pas à la nature formelle de ce corps. »

L’impetus du grave jeté en l’air est donc violent parce qu’il est contrarié par la pesanteur, par la forme naturelle du projectile. Mais, dès lors, si l’impetus, au lieu de contrarier cette forme naturelle, en secondait la tendance, s’il avait même direction qu’elle, il faudrait l’appeler naturel ; c’est, en effet, ce que déclare Marsile d’Inghen[2] :

« Lorsqu’on lance un corps pesant vers le haut, on lui imprime un impetus violent ; lorsque la même main lance ce corps vers le bas, elle lui communique un impetus naturel ; cela est visible, car le mobile confère alors de la force à cet impetus, attendu

  1. Voir : Cinquième partie, ch. X, § VI, p. 207.
  2. Abbreviationes libri phisicorum edite a Marsilio Inguen, avant-dernier fol., col. d.