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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

du mobile tend à se mouvoir indéfiniment et uniformément en ligne droite dans la direction de la vitesse qui lui a été, tout d’abord, imprimée ; mais que cette tendance est à chaque instant contrariée par les liens qui unissent cette particule au reste du corps ; que du conflit entre la tendance au mouvement rectiligne uniforme et la résistance introduites par les liaisons, naît le mouvement de rotation uniforme de l’ensemble du mobile.

Qu’un maître ès-arts de l’Université de Paris ait été, au xive siècle, incapable d’apercevoir ces vérités, on ne saurait s’en étonner ; la découverte en sera très lente et très pénible.

De ces vérités, Léonard de Vinci commencera peut-être à concevoir quelque vague soupçon[1] Gianbattista Benedetti sera le premier qui en reçoive une claire aperception, et il s’efforcera d’en convaincre les mécaniciens de son temps[2]. Sa parole ne rencontrera, d’ailleurs, qu’un faible écho ; pour que la loi d’inertie soit correctement énoncée et exactement appliquée, il nous faudra attendre la venue de Descartes.

La loi de l’inertie n’a donc pas encore reçu de Jean Buridan cnn énoncé complet et définitif. Mais la part de vérité que ce maître a reconnue est déjà bien grande, assez grande pour bouleverser les fondements mêmes de la Philosophie péripatéticienne.

Toute la Dynamique d’Aristote repose sur cet axiome[3] :

« Tout ce qui est en mouvement est nécessairement mû par quelque chose. Si donc il n’a pas en lui-même le principe de son mouvement, il est évidemment mû par un autre. » Par cette formule, d’ailleurs, Aristote entendait que le moteur donnât son assistance au mobile tant que dure le mouvement de celui-ci.

À cette formule, voici que Buridan substitue cette autre :

Après qu’un corps a été mis en mouvement, il n’a plus, pour se mouvoir, besoin d’aucun moteur extrinsèque ; l’impetus qu’il a reçu une fois pour toute y suffit. Ce n’est pas à la persistance du mouvement qu’il faut chercher des causes ; c’est à l’affai-

  1. P. Duhem, Études sur Léonard de Vinci, Troisième série : Les précurseurs parisiens de Galilée. Paris, 1913. pp. 222-224.
  2. Giovanni Vailati, Le speculazioni di Giovanni Benedetti sul moto dei gravi. (Accademîa Reale delle Scienze di Torino, vol. XXXIII, Adunanza del 27 marzo 1898. Scritti di G. Vailati, Leipzig e Firenze, 1911, pp. 161-178.) P. Duhem, Op. laud., pp. 214-220.
  3. Voir : Première partie, ch. IV, § VI ; t. I, pp. 174-175.