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LA PREMIÈRE CHIQUENAUDE

d’inertie se devait entendre des deux mouvements simples que considérait la Physique péripatéticienne, du mouvement rectiligne, c’est-à-dire du mouvement de translation, et du mouvement de rotation.

Buridan admet, en effet, que l’impulsion initiale communiquée au mobile peut être rectiligne ou circulaire ; que, dans le premier cas, elle communique au mobile un impetus qui continuera à le mouvoir d’un mouvement de translation ; dans le second cas, elle lui donne un impetus qui continuera à le mouvoir d’une mouvement de rotation. « Tandis que le moteur meut le mobile, dit-il[1], il lui imprime un certain impetus, une certaine puissance capable de mouvoir ce mobile dans la direction même où le moteur meut le mobile, que ce soit vers le haut, ou vers le bas, ou de côté, ou circulairement (vel circulariter). »

Si nous doutions qu’à ce simple adverbe, il faille attribuer le sens et l’importance que nous venons de détailler, nous aurions, pour nous rassurer, le témoignage d’un disciple et d’un grand admirateur de Buridan, de Marsile d’Inghen.

« Les impetus violents eux-mêmes, nous dit Marsile[2], ne sont pas tous de même espèce… Tel de ces impetus, en effet, est de nature telle qu’il meuve de soi en ligne droite ; ainsi en est-il de l’impetus de la flèche. Tel autre meut circulairement ; ainsi en est-il de l’impetus de la meule du forgeron…

» Souvent la différence essentielle et spécialissime entre ces impetus violents provient de la façon diverse dont ils sont imprimés. Cela est évident. Si vous lancez un toton en ligne droite, vous ne lui imprimez pas l’impetus qui est, par nature, apte à le faire tourner ; mais si vous lui donnez un mouvement gyratoire, un impetus sera imprimé, qui donnera au toton un mouvement gyratoire. »

On eût probablement étonné Buridan en lui affirmant que sa doctrine n’était vraie que des impetus rectilignes ; que c’est en ligne droite, et seulement en ligne droite, qu’un corps se meut indéfiniment et uniformément lorsqu’aucune tendance interne aucune résistance externe ne contrarie son mouvement. À cette affirmation, il eût opposé les exemples du toton, de la meule du forgeron, que nous venons d’entendre citer par Marsile d’Inghen.

Buridan ne savait pas que, dans ces cas, chaque particule

  1. Vide Supra, p. 205.
  2. Vide Supra, pp. 222-223.