Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VIII.djvu/337

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
334
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Moyennant ces définitions on peut, pour une partie déterminée du Ciel, considérer la vitesse avec laquelle elle se meut, la quantité de matière qui la forme ; Buridan ne se contredira donc pas, en attribuant un certain impetus à cette partie.

Tout en continuant à nier. que la substance céleste soit composée de matière et de forme, il pourra continuer à parler de la densité de cette substance : « Dans le Ciel, une partie est d’autant plus dense qu’elle renferme, sous un moindre volume, davantage de cette substance céleste ; il n’est pas nécessaire, pour cela, d’y supposer l’existence d’une matière. »

Buridan tient, d’ailleurs, le même langage dans ses Questions sur le traité du Ciel et du Monde ; après s’être demandé si le Ciel a une matière, et avoir répondu à cette question comme il le fait dans sa Métaphysique, il écrit[1] :

« Nous avons dit souvent qu’il n’y a pas, au Ciel, une rareté et une densité de même nature que la rareté et la densité des corps inférieurs ; il ne faut pas définir la rareté et la densité par la matière dont nous nous enquiérions, » c’est-à-dire par le sujet de la génération et de la corruption substantielles, « mais par la substance qui est le sujet de la grandeur, quelle que soit cette substance ; le rare, donc, c’est ce qui a peu de cette substance sous un grand volume, et il en est au contraire du dense. »

L’intensité de l’impetus se doit donc mesurer, selon la pensée de Buridan, par le produit d’une fonction croissante de la vitesse, du volume du mobile et de la densité de la substance qui forme ce mobile. Pour les corps pesants, cette densité est, sans doute, proportionnelle à la pesanteur spécifique. Mais elle représente un attribut bien plus général que la pesanteur spécifique. Il y a une densité même pour les corps célestes qui sont exempts de toute gravité comme de toute légèreté ; ces corps, eux aussi, peuvent se mouvoir en vertu de l’impetus qui leur est imprimé.

Maintenant que nous avons reconnu la rigueur logique de la doctrine de Buridan, il est temps de montrer à quel point cette doctrine était neuve et féconde.

Buridan a dit[2] :

« C’est l’impetus qui meut la pierre après que celui qui la lance

  1. Questiones super libris de Celo et Mundo Magistri Johannis Byridani rectoris Parisius ; lib. I, quæst. X : Utrum caclum habeat materiam. Bibl. Royale de Munich, Cod. lat. 19551, fol. 75, col. a.
  2. Vide Supra, pp. 205-206.