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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Cette explication du mouvement des sphères célestes tient si fort à cœur à notre philosophe, qu’en un autre de ses écrits, il en donne une troisième exposition. Le commentaire de la Métaphysique d’Aristote l’amène à discuter la doctrine du Stagirite selon laquelle chaque orbe céleste est mû par une intelligence spéciale. En cette discussion, il faut, selon Buridan, distinguer les suppositions de la sagesse profane de l’enseignement de la foi catholique. Aussi, après avoir examiné les opinions d’Aristote et de ses commentateurs, poursuit-il en ces termes[1] :

« On peut encore imaginer une autre hypothèse, mais je ne sais si elle n’est pas extravagante (nescio an sit fatua). Beaucoup de physiciens, vous le savéz, supposent que le projectile, après avoir quitté le moteur qui l’a lancé, est mû par un impetus que ce moteur lui a donné ; il se meut tant que l’impetus reste plus fort que la résistance ; cet impetus durerait indéfiniment (in inflnitum duraret impetus) s’il n’était diminué et détruit par quelque chose de contraire qui lui résiste ou bien par quelque chose qui incline le mobile à un mouvement contraire. Or, dans les mouvements célestes, il n’y a rien de contraire qui résiste. En la création du Monde, donc, Dieu mut chaque sphère avec la vitesse que sa volonté lui assignait, puis il cessa de la mouvoir ; dans la suite des temps, ces mouvements ont toujours persisté en vertu des impetus imprimés aux sphères elles-mêmes. C’est pourquoi il est dit que Dieu se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’il avait achevée. Je ne dis pas, toutefois, qu’il cessât d’agir au point de ne pas continuer cette influence générale hors laquelle un homme même, Socrate par exemple, ne pourrait marcher ; on dirait une erreur, en effet, si l’on prétendait que quelque chose peut se mouvoir, ou même seulement exister, hors de cette influence générale. »

Buridan conclut cet exposé de son audacieuse hypothèse par les mots suivants : « Vous voyez que les opinions des philosophes, précédemment rapportées, diffèrent grandement de

1. In Metaphysicen Aristotelis. Quæstiones argutissimæ Magistri Joannis Buridani in ultirna prælectione ab ipso recognitæ et emissæ : ac ad archetypon diligenter repositæ : cum duplice indicio : materiarum videlicet in fronte ; et quætionum in operis calce. Vænundantur Badio. Colophon : Hic terminantur Metaphysicales quæstiones brèves et utiles super libros Metaphysice Aristotelis quæ ab excellentissimo magistro loanne Buridano diligentissimâ cura et correctione ac emendatione in îormam redactæ fuerunt in ultirna prælectione ipsius Recognitæ rursus accuratione et impensis Iodoci Badii Ascensii ad quartum idus Octobris MDXVIII. Deo gratias. Lib. XII, quæst. IX : Utrum quot sint motus cœlestes, tôt sint intelligentiæ et econverso. Édit, cit., fol. lxxiii, col. a.

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