Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VIII.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
325
LA PREMIÈRE CHIQUENAUDE

durée finie ; en effet, s’il était abandonné à sa nature par le premier moteur, en vertu de la cause susdite, il cesserait de mouvoir.

» Je dis par conséquent que l’infinitude [en durée] de cette action motrice (motio) provient nécessairement d’un autre moteur dans lequel il n’y a absolument aucune puissance de demeurer en repos, ni d’une manière essentielle ni d’une manière accidentelle, attendu que ce moteur n’est mû ni de cette manière ci ni de celle-là. Ce moteur, c’est un premier moteur absolument séparé de toute matière, comme le montre la suite de ce même commentaire. C’est parce qu’il est séparé de la matière que ce premier moteur a une action motrice de durée infinie. Illud autem primum, propter suam separationem a materia, est in finitæ motionis secundum durationem. »

Le docteur qui s’est montré le plus complètement indépendant de la tradition péripatéticienne, celui que les Nominalistes parisiens ont salué du titre de Venerabilis inceptor, n’a, dans cette doctrine, rien innové ; il admet dans toute sa plénitude l’axiome formulé par Aristote : Un mouvement de durée infinie requiert un moteur qui soit éternel et immuable, qui soit une intelligence séparée de toute matière.

Un contemporain de Guillaume d’Ockam, qui porta, comme lui, la bure franciscaine, qui partagea ses erreurs dans le domaine religieux, François de la Marche comprit peut-être mieux que Guillaume combien la position péripatéticienne était intenable ; mais les efforts qu’il fit pour s’en évader ne le conduisirent pas bien loin. Nous allons reproduire ici toute la discussion qu’en son commentaire aux Sentences, il consacre à l’existence des intelligences célestes ; cette pièce, peu commune, mérite d’être connue, car elle nous marquera le point qu’avaient atteint les philosophes les plus novateurs lorsque Jean Buridan parut.

« Le mouvement du Ciel, demande François de la Marche[1], a-t-il pour cause efficiente un principe intrinsèque, la forme du Ciel, ou bien un principe extrinsèque, c’est-à-dire une intelligence ? »

« Je réponds, dit notre auteur, que ce mouvement n’a pas pour cause efficiente la forme du Ciel, mais une intelligence. Mais cela est difficile à prouver. Tous les raisonnements de ces

  1. Secundus liber Sententiarum Magistri Francisci de Marchia ; dist. III, quæst. III : Deinde quæritur utrum cœlum moveatur effective a principio intrinseco, puta a forma ejus, vel ab extrinseco, videlicet ab intelligentia. Bibl. Nat., fonds latin, ms. no 3071, fol. 107, col. b et c.