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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

iigences députées aux mouvements des cieux seront encore des intelligences divines.

Sur la relation qui unit l’intelligence à l’orbe qu’elle meut, les Néo-platoniciens grecs et arabes exerceront l’ingéniosité de leur esprit ; à chaque orbe, ils en viendront à conjoindre une âme qui en sera le moteur immédiat ; cette âme connaîtra, admirera, aimera l’intelligence séparée, désirera de lui devenir semblable, et ce désir éternel maintiendra la perpétuité du mouvement céleste.

Comment faut-il concevoir les rapports de l’orbe qui est un corps, de son moteur conjoint qui est une âme, de son moteur séparé qui est une intelligence ? À ce sujet, philosophes musulmans, philosophes juifs, philosophes chrétiens disserteront à l’envi, non sans que de vives discussions mettent aux prises leurs divers systèmes. Mais l’existence des intelligences célestes leur paraîtra toujours hors de doute. Du polythéisme astral des Grecs, leur monothéisme recueillera cet héritage ; pour imposer silence à ses scrupules, il se contentera de donner le nom d’anges aux intelligences et aux âmes célestes, que le Néo-platonisme héllénique appelait divines.

Une partie du xive siècle était déjà écoulée que la Scolastique chrétienne n’avait encore rien fait pour repousser loin d’elle cette théorie d’un Paganisme à peine déguisé. Dans la dernière discussion philosophique à laquelle il ait pris part, dans son septième Quolibet, le plus audacieux novateur de l’École, Guillaume d’Ockam, tenait encore le langage suivant[1] :

« Le Commentateur parle de la durée finie ou infinie qu’un mouvement possède par soi, et il l’entend de la manière suivante :

» Le moteur conjoint réside d’une certaine façon dans la matière du ciel, comme l’implique ce mot : conjoint ; il est en puissance de mouvoir, mais aussi, pour ce qui est de lui, il est en puissance de repos ; ainsi, quant à ce qui est de lui, il pourrait cesser d’exercer l’action par laquelle il meut le Ciel, et cela, selon le Commentateur, parce qu’il est une forme qui, d’une certaine manière, est conjointe à une matière. En mouvant d’ailleurs, il meut d’une manière accidentelle, comme le montre la suite du même commentaire. Il n’a donc pas une action motrice (motio) de durée infinie, mais seulement de

  1. Quolibeta septem Venerabilis inceptoris fratris Guilhelmi de Ockam ; quotlib. VII, quæst. XXII : Utrum intentio Philosophi et Commentatoris sit quod Deus sit infinitus intensive.