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LA CHUTE ACCÉLÉRÉE DES GRAVES

la bille demeure au contact du corps dur qui en comprime les parties ; par conséquent, ou la bille entière, ou quelqu’une de ses parties, contiguë au corps dur, demeure privée de mouvement local et en repos ; c’est ce qu’il fallait prouver.

» Confirmons le raisonnement : Cette bille ne peut commencer à remonter dans l’instant même où elle touche terre ; donc, dans ce cas, il y a un repos intermédiaire. Que le syllogisme soit concluant, quiconque l’examinera avec soin en sera assuré. Quant à la prémisse, je la prouve.

» Autant l’impetus de la partie inférieure de la bille, venue au contact du sol, peut pousser vers le haut, autant l’impetus de la moitié supérieure pousse vers le bas ; [l’impetus] de la moitié inférieure ne peut donc résister aussi fortement que ne résiste à cette moitié inférieure, [l’impetus du reste de] la bille et, avec cela, le poids de cette bille. Donc, tant que dure la poussée vers le bas produite par l’impetus des parties supérieures, la cause de repos surpasse la cause de mouvement.

» Par suite de leurs impetus, les diverses parties se heurtent les unes les autres ; et c’est par ces heurts que les pierres les plus dures se brisent quand elles tombent de haut ; c’est par la force des impetus qui s’opposent les uns aux autres. »

Ces considérations, évidemment inspirées par le Tractatus de ponderibus, se retrouvent dans ce que dit Marsile d’un problème célèbre dans les écoles, celui de la fève qui, lancée en l’air, heurte une meule qui tombe.

Au moment où cette fève rencontre la meule, elle renverse sa course sans qu’il se puisse trouver, entre les deux mouvements contraires, le moindre temps de repos ; c’était, contre l’affirmation d’Aristote, l’objection favorite.

À cet argument, nous dit Marsile dans ses Questions, « on a coutume de répondre ainsi : La meule comprime fortement l’air devant elle, et cet air comprimé arrête la fève avant qu’elle n’atteigne la meule. » C’est, en effet, la réponse que donnait déjà Roger Bacon, au temps où il était simple maître ès-arts. Il est vrai qu’à cette réponse, on ripostait ; cette résistance propre à arrêter le mouvement de la fève vers le haut sans, toutefois, déterminer la chute de ce petit corps, on montrait que l’air comprimé ne la pouvait opposer, si ce n’est pendant un instant indivisible ; il ne pouvait donc se produire un repos qui durât un certain temps.

Aussi à la réponse de Roger Bacon, Marsile en préférait-il une autre qu’il nous expose dans son Abrégé.