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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

donné Albert de Saxe. Dans son Abrégé, il s’efforce de conférer à ce raisonnement toute la rigueur d’une déduction mathématique.

« Supposons, dit-il, qu’une pierre lancée vers le haut pèse 3 et que la résistance du milieu qu’elle doit traverser soit 1 ; la résistance totale au mouvement vers le haut sera 4. Aucune action ne peut être effectuée si la puissance est égale ou inférieure à la résistance ; il faut donc, pour que la pierre monte, que l’impetus qui la pousse vers le haut surpasse 4. Or il s’écoulera un certain temps pendant lequel cet impetus sera inférieur à 4 et supérieur à 2 ; pendant ce temps, la pierre ne pourra ni monter ni descendre ; en effet, puisque l’impetus est plus petit que 4, il est inférieur à la résistance qui s’oppose au mouvement vers le haut ; d’autre part, comme il surpasse 2, en s’unissant à la résistance du milieu, il donne, à l’encontre du mouvement vers le bas, une résistance qui surpasse 3 ; comme le poids de la pierre est précisément égal à 3, il ne suffit pas à faire descendre la pierre. »

On voit clairement ici quels sont les deux principes erronés dont se réclame l’argumentation d’Albert de Saxe et de Marsile d’Inghen.

Leur première erreur consiste à méconnaître que la résistance du milieu s’annule en même temps que la vitesse du mobile, et à considérer cette résistance à la manière d’un frottement.

Leur seconde erreur, qui est plus lourde, est de méconnaître que l’impetus s’évanouit au moment même que le mobile tombe au repos.

De ces deux erreurs, leur maître Jean Buridan avait fort bien su se garder.

« Dans le mouvement réfléchi d’un grave qui tombe à terre et qui rebondit, il y a un repos intermédiaire. » Marsile, qui formule cette conclusion dans son Abrégé, la prouve à l’aide d’un raisonnement où percent les souvenirs très nets du Tractatus de portderibus. Voici ce raisonnement :

« Dans le mouvement d’une bille (terra sperica) qui rebondit de la sorte, il y a un repos intermédiaire ; donc etc. Il est clair que le syllogisme est concluant ; prouvons la prémisse.

» Durant le mouvement de la bille, la partie par laquelle elle a frappé le sol se trouve comprimée et refoulée vers le centre ; or cette compression s’accomplit nécessairement en un certain temps, car elle est un mouvement local des parties extrêmes vers le centre de la bille ; il en résulte que, pendant tout ce temps,