Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VIII.djvu/313

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
310
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

garde d’imiter leur prudente réserve ; voici le passage qui termine ses Abbreviationes :

« Mais, direz-vous, l’impetus a sa plus grande puissance auprès de ce qui produit la projection ; la flèche devrait donc frapper, tout près de l’arc, plus fort qu’à une certaine distance ; or cela est contraire à l’expérience.

» Cette question est bien difficile ; aussi ne lui donnerons-nous qu’une réponse évasive et probable.

» On peut, en premier lieu, répondre que celui qui lance un projectile lui imprime un impetus en commençant à partir du degré nul ; que, tandis qu’il le lance, il imprime une certaine puissance à l’air ambiant ; que cet air se meut avec lé projectile, et que, jusqu’à une certaine distance, il augmente l’intensité et la force de l’impetus communiqué au mobile par celui qui a projeté ce corps.

» On peut répondre, en second lieu, que l’impetus a, en effet, sa plus grande puissance au moment où celui qui lance le projectile cesse de toucher ce corps, mais qu’il ne lui est pas aussi bien appliqué que plus tard ; ce mode d’application s’améliore sans cesse jusqu’à ce que le mobile ait parcouru une certaine distance ; or, une meilleure application de la force aide grandement à la vitesse du mouvement. On dirait donc que c’est la nature même de l’impetus qui détermine, à une certaine distance, cette meilleure application.

» En troisième lieu on pourrait dire ceci : au début du mouvement, un impetus très fort est imprimé à la partie du mobile qui touche celui qui le lance ; mais, dans les parties plus éloignées, y impetus est faible et peu intense. De même, si l’on poussait Socrate, et Platon par l’intermédiaire de Socrate, l’impetus communiqué serait, au début, confiné en Socrate, puis, par l’intermédiaire de celui-ci, il passerait en Platon. Ainsi, au début du mouvement, les parties du projectile qui se trouvent les plus éloignées du moteur se mouvraient, il est vrai, aussi vite que les parties les plus rapprochées du moteur ; mais il en serait ainsi parce que les parties postérieures porteraient, pour ainsi dire, et pousseraient en avant, par leur propre vertu, les parties antérieures. Dans la suite, les parties postérieures imprimeraient aux parties antérieures un impetus aussi fort que celui qu’elle possèdent elles-mêmes, ou n’en différant pas d’une manière notable ; alors le projectile se mouvrait avec plus de vitesse et d’impétuosité. Cet effet proviendrait donc de ce qu’au début, l’impetus n’était pas partout