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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

« Si l’isnelté[1] estoit infinie, il conviendroit que la pesanteur fust infinie, et ainsi de la légièreté ; car tant plus descent la chose pesante, tant est l’isnelté plus grande, et de tant est la pesanteur plus grande et l’isnelté est plus grande. Et doncques se l’addicion de la pesanteur est infinie, l’addicion de l’isnelté sera infinie. »

À ce texte, voici la « glouse » qu’adjoint le Doyen du Chapitre de Rouen[2] :

« Et econverso. Et il fu dit, en le xie chapitre, que pesanteur infinie ne puet estre.

» Mes ici est à noter premièrement que l’isnelté du mouvement de la chose pesante ne croist pas tousjours en descendant, car se le moien par quoy il est fait estoit plus aspès ou plus fort à deviser en bas que en hault, ce pourrôit estre tellement que le mouvement serait plus tardif en la fin que au commencement, et tellement que l’isnelté sooit tousjours équale.

» Item. De ce qu’il dit que la pesanteur est plus grande de tant comme l’isnelté est plus grande, ce n’est pas à entendre de la pesanteur à prendre là pour qualité naturelle qui encline en bas.

» Car se une pierre d’une livre descendoit d’une lieue de hault et que le mouvement fust grandement plus isnel en la fin que au commencement, nientmoins la pierre ne auroit de pesanteur naturele plus à une fois que à autre.

» Mes l’en doit entendre par ceste pesanteur qui croist en descendant, une qualité accidentele, laquelle est causée par renforcement et l’accessement de l’isnelté, sicomme Je ay autres fois desclaré ou VIIe de Phisique, et ceste qualité peut estre appelé impétuosité.

» Et n’est pas proprement pesanteur ; car se un pertuis estoit decy iusques au centre de la terre et encor oultre, et une chose pesante descendoit par cest pertuis ou treu, quant elle vendroit au centre, elle passeroit oultre et monteroit par ceste qualité accidentele et aquise, et puis redescendroit et iroit et vendroit plusieurs fois en la manière que nous voions d’une chose pesante qui pent par une longue corde, et doncques n’est ce pas proprement pesanteur puis qu’elle fait monter en hault.

» Et telle qualité est en tout mouvement et naturel et violent toutteffois que l’isnelté va en croissant, fors ou mouvement du ciel.

  1. Isnelté = vitesse ; isnel = rapide ; isnelment = vivement.
  2. Nicole Oresme, loc. cit., fol. 17, col. a.