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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

le Traité du Ciel, il n’y a pas encore cent ans que Saint Thomas d’Aquin a commencé, pour ne les point achever, ses Leçons sur le même ouvrage. Durant ce laps de temps, qui n’est pas d’un siècle, quel progrès a été accompli, et avec quelle régulière continuité !

Dans les Leçons du Doctor communis, ce que nous entendons professer de la manière la plus formelle, c’est la Dynamique péripatéticienne, c’est-à-dire la doctrine la plus gravement erronée qu’ait professée le Stagirite.

Si un projectile continue à se mouvoir après avoir quitté l’engin ou la main qui l’a lancé, c’est qu’il est entraîné et transporté par l’air ébranlé ; l’air, en effet, parce qu’il est fluide, est apte à garder, pendant un certain temps, l’impulsion que lui a communiqué le moteur initial ; mais ce serait une grave erreur d’attribuer une semblable aptitude au projectile solide, de croire que ce dernier continue à se mouvoir en vertu d’une certaine force ou énergie qu’on y aurait infusée lorsqu’on l’a lancé.

Si un poids qui tombe descend avec une vitesse croissante, c’est que, d’instant en instant, il est plus voisin du centre du Monde, qui est son lieu naturel, et que, par là, son poids va, sans cesse, en croissant.

Un projectile, au commencement de sa course, va aussi d’un mouvement accéléré ; et de cette accélération purement fantaisiste, on donne une explication non moins fantaisiste en invoquant l’ébranlement du milieu que traverse le projectile.

Fermons les Leçons de Saint Thomas d’Aquin et ouvrons les Questions d’Albert de Saxe. Qu’y lisons-nous ?

Ce n’est pas l’air ébranlé qui maintient en mouvement le projectile ; l’air que le projectile doit diviser dans sa course n’a pas de force motrice ; il joue seulement le rôle de résistance. Ce qui meut le projectile, c’est l’impetus que l’instrument de jet a communiqué à ce corps ; cet impetus est d’autant plus grand que la vitesse est plus grande ; à vitesse égale, pour des corps différents, l’impetus est proportionnel à la masse du corps.

Le mouvement violent ne dure pas indéfiniment, parce que l’impetus, en luttant contre la pesanteur naturelle du projectile et contre la résistance du milieu, va sans cesse en s’affaiblissant.

Il en est tout autrement dans le mouvement naturel ; là, l’impetus croît sans cesse et, partant, il en est de même de la vitesse du mobile ; c’est cette raison, et non pas un continuel accroissement de pesanteur, qui accélère incessamment la