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LA CHUTE ACCÉLÉRÉE DES GRAVES

sans doute, parmi les maîtres parisiens, au temps où Léonard de Vinci vint en France terminer sa glorieuse existence, au temps où Soto recueillit les enseignements de l’Université parisienne. Lors donc que nous entendrons Léonard de Vinci d’abord, Dominique Soto, ensuite, enseigner que la chute d’un grave est un mouvement uniformément accéléré, nous serons en droit de penser que leur affirmation a été suggérée par les suppositions qu’Albert de Saxe avait indiquées.

Nous aurons ainsi, semble-t-il, découvert la source de l’une des lois essentielles de la chute des corps.

Mais au moment où Albert de Saxe composait ses Questions sur les livres du Ciel et du Monde, on connaissait, à Paris et à Oxford, ce qu’on nomme, ordinairement, la seconde loi de la chute des corps, bien qu’il s’agisse d’un pur théorème de Cinématique ; on savait comment se calcule le chemin parcouru pendant un certain temps par un corps mû de mouvement uniformément varié ; cette règle, Nicole Oresme l’avait justifiée, à l’aide de sa méthode géométrique, dans son traité De difformitate qualitatum.

En 1368, Albert de Saxe rédigeait ses Quæstiones in libros de Cælo et Mundo ; en 1371, Nicole Oresme regardait déjà comme ancien son traité De difformitate qualitatum. Avant l’an 1370, donc, deux grandes vérités avaient été l’une entrevue, l’autre découverte ; on avait émis l’hypothèse que la chute des graves était un mouvement uniformément accéléré ; on avait formulé la loi qui, en un tel mouvement, lie l’espace parcouru au temps employé à le parcourir. Il suffisait de donner la première proposition comme assurée et de la comparer à la seconde pour que les deux lois essentielles de la chute des corps se trouvassent formulées. Le fruit, semble-t-il, était mûr ; le plus léger attouchement allait suffire à le détacher.

Or, en dépit de cette prévision, plus d’un siècle et demi va s’écouler avant que ce fruit soit cueilli ; c’est seulement dans les écrits de Dominique Soto que la supposition d’Albert de Saxe d’une part, que la découverte d’Oresme d’autre part, se compléteront en se rejoignant ; jusqu’au jour où elles seront réunies par le savant dominicain, ces deux idées vont se transmettre d’âge en âge et d’école en école, mais en demeurant séparées l’une de l’autre.

Mais détournons nos yeux de la route qui reste à parcourir pour mesurer du regard le chemin déjà fait.

Au moment où Albert de Saxe compose ses Questions sur