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LA CHUTE ACCÉLÉRÉE DES GRAVES

de ce mouvement ou quelque petit que soit l’espace parcouru, ce qui est absurde : « Nam tunc sequeretur quod quilibet motus naturalis qui per quantumeunque tempus parvum duraret, vel quo quantumeunque parvum spatium pertransiretur, ad quemcunque gradum velocitatis pertingeret ante finem ; modo est falsum. »

Il est permis d’admirer la finesse et la précision avec laquelle, au milieu du xive siècle, un maître ès-arts savait mettre en évidence l’absurdité de certaines suppositions touchant la loi de la chute accélérée des graves.

À la discussion que nous venons d’analyser, Albert donne la conclusion suivante :

« Il faut donc entendre que l’intensité du mouvement du grave devient double, triple, etc., dans le sens suivant : Quand un certain espace a été parcouru, ce mouvement a une certaine intensité (vitesse) ; quand un espace double a été parcouru, la vitesse est double ; quand l’espace parcouru est triple, elle est triple, et ainsi de suite. Et ideo tertia conclusio intelligitur, quod intenditur per duplum, triplum etc., ad istum intellectum quod, quando ipso pertransitum est aliquod spatium, est aliquantus ; et quando ipso est pertransitum duplum spatium, est in duplo velocior ; et quando ipso pertransitum est triplum spatium, est in triplo velocior ; et sic ultra. »

La loi ainsi formulée par Albert de Saxe comme loi possible de la chute des graves n’est pas la proportionnalité de la vitesse à la durée de la chute ; c’est la proportionnalité de la vitesse à l’espace parcouru par le mobile. On sait que cette loi devait séduire Galilée dans sa jeunesse et qu’il en devait, plus tard, démontrer l’absurdité. Avant Galilée, Léonard de Vinci devait connaître la même hésitation. Mais on doit remarquer qu’en l’analyse d’Albert, l’extensio secundum tempus est, constamment, mise en parallèle de l’extensio secundum distantiam ; sauf en la conclusion que nous venons de citer, notre auteur a toujours soin de répéter de l’une ce qu’il a dit de l’autre ; la concision seule de son exposé l’a, sans doute, détourné de prolonger cette répétition jusqu’à la fin, et de signaler comme également recevable la proportionnalité de la vitesse à la durée de la chute ; entre cette loi exacte et la loi erronée, son choix, très certainement, demeurait suspendu ; l’attention d’un lecteur intelligent pouvait se porter aussi bien sur la loi exacte qu’Albert n’avait pas formulée que sur la loi erronée dont il avait donné l’énoncé explicite.

Chez aucun des contemporains ni des successeurs immédiats