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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

croissent suivant une progression arithmétique, ou bien que les accroissements successifs de ces valeurs suivent une progression géométrique de raison inférieure à l’unité.

Admettre que la loi de la chute des corps appartient nécessairement à l’un de ces quatre types, c’est faire une supposition qui nous semble singulièrement étroite ; une infinité d’autres lois nous apparaissent comme également possibles. Que l’on puisse concevoir d’autres lois de la chute des graves, Albert ne l’ignore pas et, tout à l’heure, il va en définir qu’il discutera. Mais ces quatre-là, par leur plus grande simplicité, séduisent particulièrement son attention et lui semblent les plus probables. Et d’ailleurs, Huygens, en 1646[1], ne regardait-il pas encore comme certain que la chute des corps dût suivre l’une de ces quatre lois, et ne lui paraissait-il pas suffisant de décider, par l’exclusion de trois d’entre elles, que la quatrième était exacte ?

Albert de Saxe se propose un objet analogue à celui que Christian Huygens devait, un jour, s’efforcer d’atteindre.

Pour fixer son choix, il invoque, à titre d’axiome, une proposition qu’il regarde comme l’expression de la pensée d’Aristote : Si un grave était placé infiniment loin du centre du Monde et si on le laissait tomber, la vitesse de ce grave croîtrait au delà de toute limite, et elle deviendrait infinie avant que le mobile eût atteint le centre de l’Univers.

Fort de cet axiome, notre auteur exclut les lois de chute de la seconde forme, car selon ces lois, quelque grande que soit la durée de la chute ou quelque long que soit le chemin parcouru par le mobile, la vitesse ne pourrait jamais dépasser une certaine limite assignable d’avance.

Une considération du même genre lui permet d’exclure certaines autres lois que l’on pourrait proposer ; on pourrait imaginer que la vitesse crût en progression arithmétique alors que les accroissements successifs du temps formeraient une progression géométrique de raison fractionnaire, de raison 1/2 par exemple, ou bien encore, alors que les accroissements successifs de l’espace parcouru suivraient une semblable progression. Ces hypothèses, en effet, permettraient à la vitesse de chute de prendre toute valeur, si grande soit-elle, avant la fin du mouvement, et cela quelque petite que soit la durée

  1. Huygens et Roberval, Documents nouveaux, par C. Henry ; Leyde, 1880. Lettre de Christian Huygens à Mersenne en date du 28 octobre 1646.