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LA CHUTE ACCÉLÉRÉE DES GRAVES

prouvera l’existence sera ce qu’on nomme souvent aujourd’hui un état de faux-équilibre.

Il n’en est pas moins vrai qu’Albert avait été mal inspiré en rendant aux projectiles ce temps de repos intermédiaire que son maître leur avait sagement refusé : nous verrons, cependant, quel rôle la théorie que nous venons d’entendre exposer a joué dans l’analyse du mouvement des projectiles.

Parfois, en innovant sur Buridan, Albert est plus heureux ; il l’est, par exemple, et à un très haut degré, lorsqu’il veut préciser la loi mathématique qui régit la chute accélérée des graves[1].

Albert remarque, d’abord, que cette proposition : Le mouvement devient plus intense vers la fin, peut s’entendre de diverses manières. Selon un premier sens, le mouvement (et par ce mot : motus, Albert, comme tous ses contemporains, entend ce que nous entendons par vitesse instantanée) peut croître en devenant double, triple, quadruple, etc. Selon un second sens, il peut croître de telle manière qu’à sa valeur première s’ajoute la moitié de cette valeur, puis la moitié de cette moitié, etc. En langage moderne, on dirait que la vitesse peut croître suivant une progression arithmétique, ou bien que les accroissements successifs de cette vitesse peuvent former une progression géométrique décroissante.

Ces énoncés nous paraissent incomplets. Quelle est la variable indépendante à laquelle sont rapportées les valeurs de la vitesse dont il y est fait mention ? Le silence d’Albert à cet égard provient de ce qu’il suppose son lecteur au courant de la science de son temps, et la connaissance de cette science nous permet de suppléer à ce silence. Lorsque les scolastiques du xive siècle traitaient de l’intensité d’une propriété quelconque (intensio formæ), ils la regardaient comme fonction de l’extension (extensio) de la même propriété ; dans le cas du mouvement, ils distinguaient deux sortes d’extensions, l’extension selon le chemin parcouru (extensio secundum distantiam) et l’extension selon la durée (extensio secundum tempus).

Les énoncés abrégés d’Albert doivent donc s’entendre ainsi :

Lorsqu’on range suivant une progression arithmétique croissante soit les chemins parcourus par le grave, soit les durées de chute, on peut supposer ou bien que les valeurs de la vitesse

  1. Alberti de Saxonia Quæstiones in libros de Cælo et Mundo ; lib. II, quæst. XIV : Utrum omnis motus naturalis sit velocior in fine quam in principio ? — Comme nous l’avons dit, cette question manque dans les éditions données à Paris en 1516 et en 1518.