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LA CHUTE ACCÉLÉRÉE DES GRAVES

De l’accélération qui s’observe en la chute d’un grave, quelle est donc l’explication ? Buridan va nous le dire, car, tout aussitôt, il poursuit en ces termes[1] :

» Partant, il est manifeste que si un grave se meut plus vite ou plus lentement, ce n’est pas parce qu’il est plus proche ou plus éloigné de son lieu ; mais, comme nous le disons plus loin, c’est parce que le corps pesant acquiert de soi-même un certain impetus qui se joint à sa gravité pour le mouvoir ; le mouvement devient ainsi plus rapide qu’au temps où le corps pesant était mû par sa seule gravité ; plus le mouvement devient rapide, plus l’impetus devient vigoureux ; au fur et à mesure donc que le poids continue à descendre, son mouvement devient de plus en plus rapide, parce qu’en continuant à descendre, il s’éloigne de plus en plus du point à partir duquel il a commencé de tomber ; que cette chute se produise, d’ailleurs, en un lieu plus haut ou en un lieu plus bas, il n’importe. »

Dans ce passage, Buridan promet de revenir à cette explication ; voici en quels termes il tient sa promesse. Après qu’il a montré comment l’impetus explique le mouvement des projectiles, il ajoute[2] :

« Cela semble aussi être la cause pour laquelle la chute naturelle des graves va en s’accélérant sans cesse. Au début de cette chute, en effet, la gravité mouvait seule le corps ; il tombait donc plus lentement ; mais, bientôt, cette gravité imprime un certain impetus au corps pesant, impetus qui meut le corps en même temps que la gravité ; le mouvement devient alors plus rapide ; mais plus il devient rapide, plus l’impetus devient intense ; on voit donc que le mouvement ira continuellement en s’accélérant. »

Rappelons maintenant ce que nous avons dit au chapitre précédent : De l’impetus, Buridan ne donne qu’une description qualitative ; mais au xvne siècle, cette notion cherchera la précision d’une définition quantitative et, après les tentatives erronées de Galilée et de Descartes, elle deviendra enfin la force-vive de Leibniz ; nous voyons alors que ce que nous venons de lire est une première aperception de cette vérité : La chute d’un grave doit aller en s’accélérant parce que, dans un mouvement naturel, dans un mouvement conforme à la tendance de la pesanteur, la force-vive doit croître sans cesse. De même, au gré de

  1. Jean Buridan, loc. cit., coll. a et b.
  2. Johannis Buridani Op. laud., lib. VIII, quæst. XII, éd. cit., fol. cxx, col. d.