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LA CHUTE ACCÉLÉRÉE DES GRAVES


V
Le prétendu repos intermédiaire entre l’ascension et la chute d’un projectile. — Roger Bacon. Robert Grosse-Teste. — Richard de Middleton


Pour bien comprendre ce que vont nous dire ces physiciens, il nous faut exposer un problème qui a grandement préoccupé les mécaniciens de la Scolastique ; comme toujours, ce problème avait été posé par Aristote. La Logique d’Aristote, si puissante et si sûre lorsqu’elle se proposait d’analyser les notions et les raisonnements dont l’homme use communément, s’est montrée, dans la plupart des cas, singulièrement incapable de suivre les pensées plus déliées qui composent la Mathématique ; jamais, peut-être, cette incapacité ne s’est montrée plus à nu qu’en la circonstance dont nous allons parler.

Imaginons qu’un point mobile se meuve sur une droite, dans un certain sens, jusqu’au point A puis, qu’arrivé au point A, il rebrousse chemin.

Nous n’éprouvons, aujourd’hui, aucune difficulté à concevoir qu’en A, le mouvement se réfléchisse brusquement ; jusqu’à l’instant où le mobile arrive en A, la vitesse garde une valeur finie et dirigée vers A ; à partir du moment où le mobile a rencontré le point A, la vitesse prend une nouvelle valeur finie, mais sons sens est renversé.

Nous n’éprouvons, non plus, aucun embarras à concevoir qu’en A, le mouvement change de sens sans discontinuité de la vitesse ; tandis que le mobile tend vers A, la vitesse, tout en demeurant dirigée vers A, tend vers zéro ; elle part de zéro, et croît dans un sens opposé au précédent, à partir du moment où le mobile a rencontré le point A.

Ces propositions, qui nous paraissent si simples et si aisées à recevoir, épouvantaient la raison du Stagirite ; elle y voyait des contradictions. Selon le Philosophe, il fallait nécessairement que le mobile, parvenu au point A, y demeurât en repos pendant un certain temps, avant de rebrousser chemin. « Le mobile qui revient en arrière sur une droite doit nécessairement s’arrêter[1]. — Ἀνάγκη ἂρα στῆναι τὸ ἀνακάμπτον ἐπὶ τῆς εὐθείας. »

  1. Aristote, Physique, l. VIII, ch. VIII (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II ; éd. Bekker, vol, I, p. 263, col. a).