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LA CHUTE ACCÉLÉRÉE DES GRAVES

de mouvement naturel ; elle ne s’applique pas à ceux qui se meuvent de mouvement naturel, parce qu’ils ont été engendrés hors de leurs lieux propres.

» D’autres ont cherché la cause de cet effet dans la quantité du milieu, de l’air par exemple, au travers duquel se produit le mouvement ; ils ont admis que cet air résistait d’autant moins que le mouvement naturel progressait davantage et, par conséquent, qu’il mettait de moins en moins obstacle à ce mouvement naturel. Mais cette raison serait aussi valable pour les mouvements violents que pour les mouvements naturels ; et en ces mouvements violents, c’est l’effet contraire qui se produit.

» Disons donc avec Aristote que la cause de cet effet est la suivante : Plus le corps pesant descend, plus sa gravité prend de force parce que ce corps s’approche de son lieu propre. On prouve ainsi que pour que la vitesse crût à l’infini, il faudrait que la pesanteur crût à l’infini. On en peut dire autant de la légèreté. »

Il est probable que Saint Thomas rendait de cet accroissement de gravité ou de légèreté par l’approche du lieu naturel la même raison qu’Albert le Grand. C’est du moins ce que faisait Pierre d’Auvergne, qui a terminé le commentaire au De Cælo interrompu par la mort du Docteur Angélique, son maître. « Les corps graves », disait-il[1], ou légers sont en puissance du lieu naturel, comme ils le sont de la forme ; ils sont donc mus par la cause génératrice qui leur donne leur forme ; dans la mesure où cette cause leur donne la forme, en la même mesure elle leur donne Je lieu. » Cette proposition reproduit textuellement une affirmation d’Albert le Grand et de Roger Bacon. Cette proposition était dans l’enseignement des Scolastiques, un axiome courant.

C’était un homme d’une inlassable curiosité que Roger Bacon. Lorsqu’il avait, une première fois, résolu un problème, il était rare qu’il se tînt pour satisfait de la solution qu’il avait proposée. Presque toujours, il la reprenait et la retravaillait d’une manière incessante, pour la retoucher, l’améliorer, la modifier. Au temps où, simple maître ès-arts, il commentait Aristote à l’Université

  1. Libri de celo et mundo Aristotelis cum expositione Sancti Thome de Aquino, et cum additione Petri de Alvernia. Colophon : Venetiis mandato et sumptibus Nobilîs viri domini Octaviani Scoti Civis modoetiensis. Per Bonetum Locatellum Bergomensem, Anno a salutifero partu virginali nonagesimo supra millesimum ac quadringentesimum. Sub Felici ducatu Serenissimi principis Domini Augustini Barbadici. Quinto decimo kalendas Septembres. Liv. IV, comm. 24, fol. 71, col. c.