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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

la forme qui meut d’une manière immédiate et à titre d’agent principal

» Mais, à ce sujet, on proposera peut-être l’argument suivant : Le lieu attire le corps logé comme l’aimant attire le fer ; or c’est par sa propre vertu que l’aimant attire le fer ; il en est donc de même du lieu et du corps logé.

» Nous répondrons qu’il n’y a pas similitude. Si la vertu de l’aimant se trouvait répandue dans tout l’espace au travers duquel se fait le mouvement de la même manière qu’elle est contenue dans l’aimant, il n’y aurait aucune nécessité que cette vertu de l’aimant se propageât. Le fer, alors, se mouvrait de lui-même vers l’aimant, au travers de ce milieu tout rempli de la vertu magnétique, car, en chaque partie de ce milieu, il recevrait ou acquerrait une existence nouvelle et plus complète.

» Comme il n’en est pas ainsi, il est nécessaire que l’aimant émette une vertu qui excite le fer et le tire vers lui. Mieux encore dira-t-on, comme on le voit au septième livre des Physiques : Il faut que la vertu de l’aimant excite la forme même du fer et l’anoblisse ; ainsi anoblie, elle deviendra capable de mouvoir le fer vers l’aimant, tandis que de soi, et sans cette excitation, elle ne le pourrait mouvoir.

» Mais il n’en est pas de même de la vertu du lieu ; de cette vertu, en effet, toute partie de l’espace possède quelque chose, car cette vertu est diffusée dans toutes les parties de l’espace ; il n’est donc pas nécessaire que le lieu émette une vertu par laquelle il attire le corps logé ; c’est de soi que le mobile se meut au travers du milieu, selon que dans ce milieu qu’il traverse par son mouvement, il trouve plus ou moins de l’existence qui lui convient.

» En voilà assez touchant le mouvement des corps graves et des corps légers. — Et hæc de motu gravium et levium sufliciant. »

Les dernières remarques, où Bacon compare l’action du lieu naturel sur un corps grave à l’attraction que l’aimant exerce sur le fer, reproduisent la pensée d’Averroès ; nous avons dit autrefois[1] combien ces vues du Commentateur sur les actions magnétiques, vues que tout le Moyen Âge a acceptées, étaient, en vérité, prophétiques.

À l’exemple du maître ès-arts Roger Bacon, les physiciens vont, pendant la plus grande partie du xiiie siècle, expliquer,

  1. Voir : Première partie, ch. IV, § XVII ; t. I, p. 239.