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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

substantielle, formuler cet adage : Autant le corps reçoit de lieu, autant il reçoit de forme.

Mais si la forme substantielle ou matérielle du grave n’est pas susceptible d’acquérir une intensité plus ou moins grande, il en est tout autrement de la forme immatérielle ou céleste qui, dans la chute du poids, est le véritable moteur ; rien n’empêche ce moteur d’être d’autant plus puissant que le grave est plus voisin du centre du Monde ; rien n’empêche le corps pesant de recevoir d’autant plus de cette forme immatérielle qu’il reçoit davantage de lieu naturel ; le lieu jouera, à l’égard de cette forme, le rôle de cause excitatrice.

C’est bien ce qu’admet Bacon ; c’est ce qu’il formule déjà, pour répondre à une objection, au cours de la question qui est ainsi libellée : Quæritur utrum gravia et levia moveandur a generantibus ipsa.

« Cette proposition, dit-il[1] : Autant un corps acquiert de forme, autant il acquiert de lieu, est vraie de la forme immatérielle, qui participe du lieu plus que du corps logé. C’est pourquoi le corps se meut plus vite lorsqu’il approche de son lieu propre ; alors, en effet, la vertu ou forme immatérielle qui existe dans le mobile se trouve plus fortement excitée par la vertu du lieu. »

La doctrine qui est simplement esquissée dans ce passage se trouve exposée, sous forme achevée, dans la dernière des questions que Roger Bacon consacre à la chute des graves. Cette question[2] est ainsi formulée : Quæritur utrum virtus loci moveat grave vel leve. — Cette question mérite d’être ici traduite en entier.

« Est-ce la vertu du lieu qui meut tout corps grave ou léger ? Voici un argument pour l’affirmative : Au quatrième livre des Physiques, il est dit : Elle est bien manifeste, la puissance par laquelle tout corps, lorsqu’il n’en est pas empêché, se meut vers son lieu. Par là, il est évident que le lieu meut tout corps, grave ou léger.

» Item. Au quatrième livre Du Ciel et du Monde, il est dit : C’est par la même nature qu’un corps est mû vers son lieu et qu’il se repose en ce lieu, ou inversement. Mais c’est par la nature du lieu qu’un grave repose en son lieu. C’est donc aussi par la nature et la vertu du lieu qu’il se meut vers ce lieu.

  1. Bibliothèque municipale d’Amiens, ms. no 406, fol. 71, col. b.
  2. Ms. cit., fol. 71, col. c. et d.