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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

chute de la pierre ; mais il est aussi l’instrument qui améliore cette chute, qui la rend plus rapide. Or, au fur et à mesure que se poursuit et se prolonge le mouvement de la pierre, l’ébranlement communiqué à l’air croît en force et en étendue. Cet air va donc rendre de plus en plus facile, de plus en plus vite la chute de la pierre. On obtient ainsi, de l’accélération qui s’observe en cette chute, l’explication que l’Antiquité hellénique avait connue, qu’elle avait proposée dans le Liber de ponderibus, qui devait être publié en 1565 sous le nom de Jordanus[1].

Averroès connaissait sans doute cette théorie ; c’est à elle, semble-t-il, qu’il faisait allusion lorsqu’il parlait de ceux qui regardent l’air comme un adjuvant de la chute des graves, sans en faire l’instrument nécessaire de cette chute ; il est même permis de croire que cette théorie lui a suggéré le singulier système que nous venons d’exposer.

Ajoutons toutefois, pour être complet, qu’en une circonstance où il faisait à l’accélération des mouvements naturels une très rapide allusion, il s’est exprimé comme l’eût fait un disciple de Thémistius ou de Jean Philopon[2]. « Il est des mobiles qui prennent plus de vigueur quand ils approchent du terme, à cause du très grand désir qui les porte vers ce terme… Ces corps qui prennent plus de vigueur à la fin du mouvement sont ceux qui se meuvent naturellement, c’est-à-dire les graves et les corps légers. »


II
L’explication de la chute accélérée des graves
au xiii
e siècle. — Adoption de la théorie de Thémistius


L’étrange théorie de la chute des graves, proposée par Averroès, ne trouva, semble-t-il, aucun partisan parmi les Scolastiques du xiiie et du xive siècles ; pour trouver un physicien qui la reçoive avec faveur, il nous faudra chercher parmi les Averroïstes italiens du xve siècle, un homme aussi follement épris des thèses du Commentateur que Nicolò Vernias de Chieti.

  1. Voir : Première partie, ch. VI, § VII ; t. I, pp. 389-393 et pp. 395-396.
  2. Averrois Cordubensis Commentaria in libros Aristotelis de Cælo et Mundo, lib. II, summa II, quæst. V, comm. 35.