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LA CHUTE ACCÉLÉRÉE DES GRAVES

exposition des Physiques, promis d’expliquer ici ; cet endroit-ci, en effet, convenait mieux à cette explication. »

Arrêtons-nous un instant à méditer cette théorie ; assurément, elle en vaut la peine.

Aristote a posé un axiome de Mécanique que lui suggérait l’observation courante et quotidienne — c’est-à-dire l’observation complexe et confuse, dont aucune réflexion, aucune analyse n’a distingué et démêlé les divers éléments, en un mot le principe le plus mal choisi pour une théorie scientifique. Cet axiome était le suivant : Toute chose mue est, pendant toute la durée de son mouvement, associée à un moteur qui est lui-même en mouvement, et qui est réellement distinct du mobile.

Cet axiome, dont se réclame toute la Dynamique péripatéticienne, a produit ses conséquences.

Aristote a vu la flèche voler après qu’elle a quitté l’arc ; à cette flèche, il a fallu chercher un moteur qui fût lui-même en mouvement, qui accompagnât la flèche pendant toute la durée de son vol et qui, cependant, fût réellement distinct de la flèche ; ce moteur, on a cru le découvrir dans l’air ébranlé. Ainsi s’est trouvée formulée la théorie péripatéticienne du mouvement violent des projectiles.

La chute des graves ne semblait pas se plier aisément à l’axiome posé par le Stagirite ; il semblait que la pierre qui tombe fût, à la fois, moteur et chose mue. Pour fuir cette inadmissible affirmation, Aristote avait eu recours aux considérations les plus délicates de sa Physique. Mais voici qu’Averroès proposait une explication plus brutale, calquée sur la théorie du mouvement des projectiles. Le moteur de la pierre qui tombe, c’est l’air ambiant ; quant à cet air, c’est la pierre même qui le meut. Ainsi le batelier meut sa barque et la barque mise en mouvement emporte, à son tour, le batelier.

Telle est la Dynamique insensée que le Péripatétisme et l’Averroïsme ont léguée à la Chrétienté latine ; telles sont les folies, autorisées des deux grands noms d’Aristote et du Commentateur, auxquelles les physiciens de Paris devront attacher leur raison, afin qu’elle devienne capable de concevoir la Mécanique des temps modernes.

Parmi les diverses explications de la chute accélérée des graves, nous pouvons deviner maintenant quelle est celle qui eût ravi l’assentiment d’Averroès.

L’air, par son mouvement, est l’instrument nécessaire de la