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LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

tirer, la charrette se meut encore quelque peu ; cela ne serait point s’il lui fallait alors être mue par l’air qui la suit.

» Voici encore une autre expérience semblable : si quelqu’un lance une balle de foin ou d’étoupe, nous voyons quelques brins de cette substance qui s’étirent en arrière, du côté de l’homme qui a lancé la balle ; cela ne serait pas si ce projectile était mû par l’air qui le suit ; bien plus, c’est de l’autre côté que ces brins devraient alors s’étirer.

» Autre expérience semblable : Nous voyons une flèche très grêle se mouvoir avec une grande vitesse, après qu’elle a quitté l’instrument de jet ; il n’en devrait pas être ainsi si elle était mue par l’air qui la suit, car l’air qui la suit est en très modique et petite quantité. »

Au lieu d’agir par antiperistasis, l’air pourrait agir comme l’imagine Aristote ; ébranlé au devant du projectile, il l’entraîne par la propagation de son propre mouvement. Mais « contre cette opinion, il y a quelques expériences.

» Supposons que l’air qui entoure une meule de forgeron que l’on a lancée soit enfermé de toutes parts ; la meule, on le voit, continuerait néanmoins de se mouvoir après que le premier moteur a mis fin à son propre mouvement ; on voit donc que si le projectile est mû, ce n’est pas qu’il soit porté par l’air qui l’entoure.

» D’ailleurs, s’il en était ainsi, il en résulterait que nous pourrions lancer une plume plus loin qu’une pierre. Or, cela est évidemment faux. Cette conséquence, cependant, est logiquement déduite, car la plume résisterait moins qu’une lourde pierre à l’air qui la transporte.

» Enfin admettons que la susdite opinion soit vraie ; il en résulterait ceci : Si je poussais l’air vers vous de la même façon que si je lançais un corps, cet air devrait produire contre vous un choc violent. Ce n’est pas, cependant, ce que l’expérience nous enseigne.

» Il y a une autre opinion que, pour le présent, je regarde comme plus vraie ; la voici : Ce qui lance un corps imprime au projectile une certaine force motrice (virtus motiva) ; c’est une certaine qualité qui est naturellement apte, s’il ne survient pas d’ailleurs quelque empêchement, à mouvoir dans la direction suivant laquelle l’instrument de jet a lancé le corps.

» Selon cette opinion, on peut rendre raison, de certaines expériences, dont voici la première : Une pierre a plus de matière et est plus dense qu’une plume ; aussi, de cette force motrice,