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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

n’en avons rencontré qu’un, Jean le Chanoine, qui ait accepté cette théorie. Après Buridan, au contraire, tous les maîtres en renom à Paris, les Albert de Saxe, les Nicole Oresme, les Marsile d’Inghen développent à l’euvi cette théorie qui devient, grâce à eux, une des doctrines caractéristiques de la Physique parisienne.

L’enseignement de Jean Buridan avait pleinement convaincu Albert de Saxe ; en deux de ses ouvrages, en ses Questions sur la Physique d’Aristote et en ses Questions sur le De Cælo, Albert expose avec plus ou moins de détails la théorie de l’impetus. Or, l’adhésion qu’il a donnée à cette doctrine a grandement contribué à la propager au temps où elle devait produire la Dynamique moderne ; en effet, tandis que les Questions de Buridan sur la Physique d’Aristote ont été imprimées une seule fois, à Paris, en 1509, les divers ouvrages d’Albert de Saxe ont eu, à la fin du xve siècle et au commencement du xvie siècle, un grand nombre d’éditions, particulièrement en Italie ; aussi est-ce surtout par ces ouvrages que les Italiens de la Renaissance ont connu l’explication parisienne du mouvement des projectiles ; il leur est parfois arrivé de croire et de dire qu’Albertutius en était l’inventeur.

C’est par l’étude du mouvement des projectiles qu’Albert de Saxe termine ses Questions sur la Physique d’Aristote[1]. Selon la méthode scolastique, il expose et discute tout d’abord les opinions qu’il entend rejeter.

La première de ces opinions, c’est celle qui attribue le mouvement des projectiles à l’antiperistasis. Albert lui oppose des arguments qui avaient déjà cours auprès des péripatéticiens ; puis il en introduit de nouveaux. « Cette opinion, dit-il, n’a pas lieu d’être admise au sujet du mouvement de la meule du forgeron ou bien encore du mouvement, du toton (trochus). Nous voyons, en effet, que le toton, longtemps après avoir quitté la main de celui qui l’a lancé, continue à tourner, bien qu’aucun air ne le suive en son mouvement ; il se meut, en effet, sans cesse et point pour point, dans le même espace.

» Voici une autre expérience semblable : Un homme assis sur une charrette de foin ne sent aucunement que l’air se meuve à sa suite ; bien au contraire, il sent que l’air lui résiste ; et cependant, si les bêtes attelées à cette charrette cessent de

  1. Acutissimæ quæstiones super libros de physica auscultatione ab Alberto de Saxonia editæ. Lib. VIII, quæst. XIII : A quo moveatur projectum sursum post separationem illius a quo projicitur.