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LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

témérité, il a fort sagement agi. Sans doute, il a condamné par là sa Dynamique à demeurer purement qualitative, il lui a refusé le droit de donner à ses propositions une forme mathématique dont, d’ailleurs, les géomètres du temps n’étaient pas capables de tirer parti. Mais à cette Dynamique toute qualitative, il a assuré une parfaite justesse qui, même aujourd’hui, ne réclame aucune correction.

Si l’on eût contraint Buridan de donner une forme mathématique déterminée à la relation entre l’impetus et la vitesse, il eût choisi, sans doute, la forme qui se présentait comme la plus simple et la plus naturelle, celle de la proportionnalité. Ainsi feront plus tard Galilée et Descartes. Ce que celui-là appellera impeto, ce que celui-ci nommera quantité de mouvement, c’est l’impetus de Buridan, que les traités scolastiques étudiés en leur jeunesse ont fait connaître à ces deux maîtres ; mais c’est l’impetus mathématiquement déterminé par l’hypothèse qu’il est proportionnel à la vitesse.

Or, cette détermination était malencontreuse. Par la plupart des propriétés que lui attribue Buridan, que lui attribueront les successeurs de ce physicien jusqu’à Galilée et à Descartes, cet élément fondamental de la Dynamique qu’ils nomment impetus, impeto, quantité de mouvement, s’identifie avec ce que Leibniz devait un jour appeler force vive ; et Leibniz aura la tâche d’établir, contre les disciples de Galilée et de Descartes, que la force vive est proportionnelle au carré de la vitesse, non pas à la simple vitesse. Mais cette correction de Leibniz, en modifiant les énoncés mathématiques donnés par Galilée et par Descartes, laissera intactes les proportions purement qualitatives de Jean Buridan.


VII
La Dynamique de Jean Buridan a l’Université de Paris.
Albert de Saxe, Nicole Oresme, Marsile d’Inghen


L’enseignement si clair et si sensé que Jean Buridan donnait touchant le mouvement des projectiles a certainement exercé, à l’Université de Paris, une très forte influence. Les prédécesseurs du philosophe de Béthune ne nous ont laissé que de rares, et courtes allusions à la théorie de l’impetus et, parmi eux, nous