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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

définition différente des considérations que Buridan vient de développer ; voici, en effet, comment il formule cette définition de la masse ou quantité de matière par laquelle débute le livre des Principes :

« La quantité de matière est la mesure de cette matière obtenue en multipliant la densité par le volume. La quantité d’air de densité double que contient un espace double est quadruple ; un espace triple en contient une quantité sextriple. Entendez la même chose de la neige et des poussières que l’on peut condenser par liquifaction ou par compression. Il en est de même de tous les corps qui sont susceptibles de se condenser de diverses manières par l’effet de causes quelconques… C’est cette quantité qu’en ce qui va suivre, je désignerai parfois par les noms de corps et de masse. Elle se manifeste, en chaque corps, par le poids de ce corps ; en effet, à l’aide d’expériences très exactement faites sur des pendules, j’ai trouvé qu’elle était proportionnelle au poids. »

La masse est donc, pour Buridan comme pour Newton, identique à la quantité de matière première ; la proposition qui l’introduit dans la Dynamique du Maître parisien est celle-ci : Pour lancer avec des vitesses égales des corps divers, il leur faut communiquer des impetus proportionnels à leurs masses respectives.

La masse, identifiée à la quantité de matière première, avait déjà été rencontrée par Saint Thomas d’Aquin lorsqu’il avait soutenu qu’une force finie tirerait un mobile dans le vide avec une vitesse finie. Il avait reconnu, en cette masse, la résistance intrinsèque au mobile qui, même en l’absence de toute force résistante extérieure, empêche le mouvement d’être instantané. Le point de vue d’où il avait découvert la notion de masse différait fort de celui où Buridan s’était placé pour apercevoir cette même notion. Cette notion qu’il a si bien décrite telle qu’il l’apercevait de son point de vue, Buridan ne l’a plus reconnue lorsqu’il l’a considérée du côté par où Saint Thomas l’avait regardée, et ses disciples immédiats n’ont pas été plus clairvoyants que lui ; par là, la Dynamique parisienne s’est vue privée d’un important complément.

Tout en affirmant que, pour un corps donné, l’impetus est d’autant plus grand que la vitesse est, elle-même, plus grande, Buridan s’est gardé de préciser la relation mathématique qui unit l’impetus et la vitesse. En se tenant sur cette réserve que l’état de sa science ne lui eût point permis d’abandonner sans