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LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

grande est la vitesse avec laquelle le corps meut le mobile, plus est puissant l’impetus qu’il imprime en lui. »

D’autre part, à vitesse égale, à volume égal, l’impetus est plus grand en un corps lourd qu’en un corps léger : « Si celui qui lance des projectiles meut avec une vitesse égale a un léger morceau de bois et un lourd morceau de fer, ces deux morceaux ayant, d’ailleurs, même volume et même figure, le morceau de fer ira plus loin parce que l’impetus qui se trouve imprimé en lui est plus intense. »

En effet « toutes les formes et dispositions naturelles sont reçues dans la matière, et en proportion de la [quantité de] matière ; partant, plus un corps contient de matière, plus il peut recevoir de cet impetus et plus grande est l’intensité avec laquelle il peut le recevoir. »

Le sens de cette phrase est bien net : En des mobiles différents, lancés avec une même vitesse, les intensités de l’impetus sont entre elles comme les quantités de matière que renferment ces divers mobiles.

Cette matière, qu’est-elle ? Buridan la nomme matière première, materia prima. Ce n’est pas, cependant, ce ne saurait être la matière première d’Aristote. Absolument indéterminée, celle-ci n’est pas quantifiable. La matière première dont parle Buridan, c’est donc cette matière première déjà pourvue de dimensions et quantifiable en laquelle Saint Thomas place le principe d’individuation.

Comment se mesurera cette quantité de matière première contenue dans un corps déterminé ? « Dans un corps dense et grave, il y a, toutes choses égales d’ailleurs, plus de matière première qu’en un corps rare et léger. Modo in denso et gravi, cæteris paribus, est plus de materia prima quam in raro et levi. »

Forcerions-nous la pensée de Buridan en traduisant ainsi cette proposition : La quantité de matière contenue dans un corps est proportionnelle au volume et à la densité de ce corps ? Si nous éprouvions quelque crainte à cet égard, il serait aisé de .calmer cette crainte. Dans une de ses questions sur la Métaphysique d’Aristote, Buridan se pose à lui-même cette objection[1] :

« La densité et la rareté sont en raison de la quantité de matière (ratione materiæ) ; un corps dense est celui qui a beau¬

1. In Metaphysicen Aristotelis Quæstiones argutissimæ Magistri Joannis Buridani. Lib. VIII, quæst. unica : Utrum cælum habeat materiam subjectam formæ substantiali sibi inhærenti. Éd. cit., fol. LV et LVI.

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