Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VIII.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
206
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

cet impetus qui meut la pierre après que celui qui la lance a cessé de la mouvoir ; mais, par la résistance de l’air, et aussi par la pesanteur qui incline la pierre à se mouvoir en un sens contraire à celui vers lequel l’impetus a puissance de mouvoir, cet impetus s’affaiblit continuellement ; dès lors, le mouvement de la pierre se ralentit sans cesse ; cet impetus finit par être vaincu et détruit à tel point que la gravité l’emporte sur lui et, désormais, meut la pierre vers son lieu naturel.

» On doit, ce me semble, tenir pour cette explication, d’une part, parce que les autres explications se montrent fausses et, d’autre part, parce que tous les phénomènes s’accordent avec cette explication-ci.

» Dira-t-on, par exemple : Je puis lancer une pierre plus loin qu’une plume, et un morceau de fer ou de plomb adapté à ma main plus loin qu’un morceau de bois de même grandeur. Je réponds que la cause en est la suivante : Toutes les formes et dispositions naturelles sont reçues en la matière et en proportion naturelles sont reçues en la matière et en proportion de la [quantité de] matière ; partant, plus un corps contient de matière, plus il peut recevoir de cet impetus, et plus grande est l’intensité avec laquelle il peut le recevoir ; or, dans un corps dense et grave, il y a, toutes choses égales d’ailleurs, plus de matière première qu’en un corps rare et léger ; un corps dense et grave reçoit donc davantage de cet impetus, et il le reçoit avec plus d’intensité [qu’un corps rare et léger] ; de même, un certain volume de fer peut recevoir plus de chaleur qu’un égal volume de bois ou d’eau. Une plume reçoit un impetus si faible, que cet impetus se trouve détruit aussitôt par la résistance de l’air. De même, si celui qui lance des projectiles meut avec une égale vitesse un léger morceau de bois et un lourd morceau de fer, ces deux morceaux ayant d’ailleurs même volume et même figure, le morceau de fer ira plus loin parce que l’impetus qui se trouve imprimé en lui est plus intense. C’est pour la même cause qu’il est plus difficile d’arrêter une grande meule de forgeron, mue rapidement, qu’une meule plus petite ; en la grande meule, en effet, il y a, toutes choses égales d’ailleurs, plus d’impetus qu’en la petite. Toujours en vertu de la même cause, vous pourrez lancer plus loin une pierre d’une livre ou d’une demi-livre que la millième partie de cette pierre ; en cette millième partie, en effet, l’impetus est si petit qu’il est tout aussitôt vaincu par la résistance de l’air.