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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

me semblent également impossibles à admettre, tout comme l’opinion et l’hypothèse précédentes. Cette explication ne permet pas de dire ce qui fait tourner la meule du forgeron ou la toupie lorsque s’est retirée la main qui les a mises en mouvement ; en effet, si l’on recouvrait entièrement la meule à l’aide d’un linge qui la séparât de l’air ambiant, la meule ne cesserait cependant pas de tourner ; elle continuerait très longtemps à se mouvoir ; ce n’est donc pas cet air qui la meut.

» Item, un bateau mû rapidement demeure en mouvement après que les haleurs ont cessé de tirer ; ce n’est pas l’air ambiant qui meut ce bateau ; s’il était couvert d’une bâche, que l’on enlevât cette bâche et, en même temps, l’air qui lui est contigu, le bateau ne s’arrêterait pas pour cela ; en outre, si le bateau était chargé de foin ou de paille et qu’il fut mû par l’air ambiant, cet air infléchirait vers l’avant les fétus qui se trouvent à la surface du chargement ; bien au contraire, ces fétus s’infléchissent vers l’arrière par suite de la résistance de l’air qui les entoure.

» Item, si vivement que l’air soit mû, il reste facile à diviser ; on ne voit donc pas comment il pourrait porter une pierre du poids de mille livres lancée par une fronde ou par une machine.

» Item, avec votre main, sans rien tenir en cette main, vous pouvez mouvoir l’air voisin aussi vite et même plus vite que si vous aviez en cette même main une pierre que vous voulez lancer ; supposons donc que cet air, grâce à la vitesse de son mouvement, ait assez d’impétuosité pour mouvoir rapidement cette pierre ; il semble que si je poussais cet air vers vous avec cette même vitesse, il devrait vous faire subir une impulsion impétueuse et très sensible ; or, nous ne percevons pas qu’il en soit ainsi.

» Item, il en résulterait que vous projetteriez une plume plus loin qu’une pierre, et un corps moins pesant plus loin qu’un corps de plus grande pesanteur, leurs figures et leurs volumes étant d’ailleurs identiques ; or, nous expérimentons que cela est faux ; et, cependant, la conséquence découle manifestement des principes, car l’air ébranlé soutiendrait, porterait et mouvrait plus aisément une plume qu’une pierre, un corps léger qu’un corps lourd.

» Item, à cette explication, on objecterait cette question : Par quoi l’air est-il mû après que celui qui a lancé le projectile a cessé de le mouvoir ? A cette question, le Commentateur répondra que cet air est mû par sa légèreté, qu’il est dans la