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LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

» La première expérience est celle de la toupie ou de la meule du forgeron ; ce corps tourne très longtemps ; cependant, ce corps ne sort pas du lieu qu’il occupe, en sorte que l’air n’a pas à la suivre pour remplir la place abandonnée ; cette théorie ne peut donc dire ce qui meut cette toupie ou cette meule.

» Seconde expérience. Qu’on lance un, javelot dont la partie postérieure est armée d’une pointe aussi aiguë que la partie antérieure. Ce trait va se mouvoir aussi rapidement que s’il ne portait pas, en arrière, une pointe aiguë ; cependant, l’air qui suit le javelot ne saurait pousser fortement cette pointe, car il serait aisément divisé par son acuité.

» Troisième expérience. Un navire que l’on hale rapidement en un fleuve, contre le cours du fleuve, ne peut s’arrêter instantanément ; il continue à se mouvoir longtemps après qu’on a cessé de le haler. Cependant, le batelier qui se tient debout sur le pont ne sent nullement que l’air le pousse par derrière ; il sent seulement, par devant, l’air qui résiste. Supposons, en outre, que ce bateau soit chargé de foin ou de bois, et que le batelier se trouve à l’arrière, contre le chargement ; si l’air avait une impétuosité si grande qu’il lui fût possible de pousser le navire avec tant de force, cet homme se trouverait violemment comprimé entre le chargement et l’air qui suit le bateau, l’expérience montre que cela n’est pas. Si le bateau était chargé de foin ou de paille, l’air qui le suit infléchirait, dans le sens du mouvement, les fétus qui se trouvent à l’arrière ; et tout cela est faux.

» La seconde opinion est celle qu’Aristote semble approuver. Selon cette opinion, celui qui lance le projectile meut, en même temps, l’air ambiant ; et cet air, violemment ébranlé, a puissance pour mouvoir à son tour ce projectile ; il ne faut pas entendre par là que le même air se déplace du point où la projection a eu lieu jusqu’au point où cesse le mouvement du projectile, mais que l’air conjoint au projectile est mû par celui qui lance le mobile, que cet air en meut un autre, et ainsi de suite jusqu’à une certaine distance ; la première masse d’air meut donc le projectile jusqu’à ce qu’il parvienne à une seconde masse d’air, cette seconde masse jusqu’à une troisième et ainsi de suite ; aussi Aristote dit-il qu’il n’y a pas là un seul mobile, mais des mobiles successifs ; Aristote dit également que le mouvement n’est pas un mouvement continu, mais une série de mouvements consécutifs ou contigus.

» Mais, sans aucun doute, cette opinion et cette hypothèse