Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VIII.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
196
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

il n’y a donc pas à chercher, en cet instant, la cause capable de la produire.

Le mouvement local n’étant plus la continuelle innovation d’un effet réel, l’incessante mise en acte de quelque chose, ce mouvement peut se poursuivre sans qu’aucune cause efficiente, aucun moteur soit requis pour en assurer la continuation.

Qu’est-ce que cette affirmation ? C’est, au lieu du principe fondamental de la Dynamique péripatéticienne, la pensée essentielle de ce qui sera le principe fondamental de la Dynamique moderne, la loi de l’inertie.


V
Les premiers indices de la théorie de l’impetus


Si l’on eût compris et admis la pensée que Guillaume d’Ockam formulait si nettement, mais si sommairement, on eût cessé de répéter le fameux axiome : Quidquid movetur ab alio movetur. On lui eût substitué celui-ci[1] : « Si un corps a commencé une fois de se mouvoir, nous devons conclure qu’il continue par après de se mouvoir, et que jamais il ne s’arrête de soi-même. » C’est-à-dire qu’on eût sauté brusquement de la Dynamique d’Aristote à la Dynamique de Descartes..

Le progrès des connaissances humaines ne se fait pas par de tels bonds. Les critiques d’Ockam ont mis à terre la Dynamique péripatéticienne ; sur les ruines de celle-ci, la Dynamique nouvelle va s’élever ; mais elle se bâtira très, lentement, en suivant autant que possible le plan de la science qu’elle est appelée à remplacer, empruntant aux ruines de celle-ci tous les matériaux qui ne lui semblent pas trop impropres à un nouvel usage.

Ce qui va diriger la nouvelle théorie du mouvement des projectiles, ce n’est pas la pensée d’Ockam ; elle est trop différente de tout ce qui avait été enseigné jusqu’alors pour être admise avant qu’un long travail y ait préparé les esprits. L’hypothèse qui va être reprise, c’est celle dont Roger Bacon et, Saint Thomas d’Aquin redoutaient déjà la séduction, celle que Jean

  1. Descartes, Les Principes de la Philosophie, seconde partie, XXXVII.