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LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

« Dans le mouvement des projectiles, écrit-il[1], comment le moteur et le mobile demeureraient-ils toujours conjoints ?

» L’instrument de jet n’est pas toujours conjoint au projectile il pourrait même être anéanti pendant que le mouvement se poursuit.

» On ne peut dire non plus que c’est l’air qui, d’abord par une de ses parties, puis par une autre, meut le projectile. Deux hommes, en effet, peuvent tirer des flèches l’un contre l’autre, en sorte que les corps qu’ils lancent se peuvent croiser ; si donc c’était l’air mis en mouvement qui meut chacune des deux flèches [au lieu de croisement], le même air se mouvrait simultanément de deux mouvements contraires. »

Depuis le temps de Jean Philopon, on n’avait pas entendu pareil langage ; on n’avait pas vu le sens commun mettre si clairement en évidence ce qu’il y a d’inadmissible dans la théorie péripatéticienne du mouvement des projectiles.

Mais Guillaume d’Ockam va dépasser d’emblée le point où s’était arrêté Jean le Grammairien. Au mouvement du projectile, celui-ci assignait un moteur continuellement présent ; c’était une activité, une forme, une énergie que l’instrument de jet avait mise dans le mobile. Ockam n’admettra même pas l’existence de cette vertu motrice.

« Dans l’étude du mouvement de projection, dit-il2, se rencontre une grande difficulté au sujet du principe moteur et effectif de ce mouvement.

» Ce principe, ce ne peut être l’instrument de jet ; il pourrait, en effet, être détruit tandis que le mouvement continuerait d’exister.

» Ce ne peut, non plus être l’air, car lorsqu’une flèche et une pierre se croisent, il faudrait qu’il pût se mouvoir de mouvements contraires.

» Enfin, ce ne peut être une vertu qui réside en la pierre car, je vous le demande, par quoi cette vertu serait-elle causée ?

» Elle ne saurait être causée par l’instrument de projection. En effet, un agent naturel, qu’en des circonstances diverses, on approche également du patient, y produit toujours également son effet. Mais l’instrument de projection peut être approché de la pierre, de telle façon que tout ce qu’il y a en lui d’absolu ou de relatif soit aussi voisin de cette pierre que lorsqu’il la

1. Opus Magistri Guilhelmi de Ockam super quatuor libros serdentiarum. Lib. Il, quæst. XVIII.

2. Guilhelmi de Ockam Op. laud., quæst. XXVI.

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