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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Dans sa curieuse compilation, que nous avons maintes fois citée, ce disciple écrit[1] :

« Il [Ockam] admet que l’agent ne coexiste pas toujours au patient en vertu d’une simultanéité mathématique et dimensive… mais qu’il est parfois localement distant du patient…

» Supposons, en effet, que le soleil envoie un rayon sur une fenêtre et qu’il éclaire une salle. C’est une chose assurée que la lumière est plus vive dans la partie de la salle qui s’offre directement à la fenêtre qu’èlle ne l’est sur les côtés. Alors, cette lumière qui est dans la salle, en deçà de la fenêtre, je demande si elle est causée par le Soleil. Si oui, on tient ce qu’on se proposait de démontrer, car il est bien certain que le Soleil est localement distant de cette salle. Dira-t-on qu’elle est seulement causée par la lumière qui se trouve en la fenêtre ? Mais cela ne se peut dire, car une cause qui agit naturellement excerce même action sur un même patient placé à une même distance, dans quelque direction que ce patient se trouve situé ; partant la lumière qui réside en la fenêtre éclairerait avec la même intensité l’air qui se trouve sur les côtés de la salle et l’air qui se présente directement à elle ; or cette conséquence est fausse, comme l’expérience nous le montre. »

L’objection formulée par Ockam n’est pas insoluble. La théorie ondulatoire de la lumière réussit à prouver qu’au delà d’une fenêtre éclairée par un point lumineux, la lumière se trouve presque exclusivement dans le cône dont le point lumineux est le sommet et dont le contour de la fenêtre dessine la directrice ; mais la démonstration n’est ni aisée ni fort ancienne ; et le seul fait d’avoir signalé la difficulté et posé le problème fait honneur à la sagacité d’Ockam.

En développant ce principe : Pour agir sur le patient, l’agent n’a pas besoin d’être en contact avec lui, Ockam est amené à bouleverser la théorie péripatéticienne du mouvement des projectiles. Contre cette théorie, voici ce qu’il va affirmer : La main ou la machine qui a lancé un projectile est, pendant toute la durée du mouvement, le véritable et seul moteur du projectile, bien qu’il n’y ait plus aucun contact entre ce corps et ce qui l’a jeté.

1. Operis anonymi cap. Il, prop. 50a (non num.). Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms. n° 16130, fol. 130, col. b.

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