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LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

meut le fer, ce n’est donc pas la vertu qui existe dans le fer ; c’est la pierre d’aimant elle-même…

» Vous direz peut-être : Ce raisonnement démontre que ni la vertu qui réside dans le milieu ni celle qui siège dans le fer ne meut le fer à titre de cause totale ; mais il ne prouve pas que cette vertu ne soit pas cause partielle du mouvement. À cela, je réponds : Elle peut, en effet, mouvoir à titre de cause partielle, à condition d’admettre que la pierre, elle aussi, meut, d’une manière immédiate, à titre de cause partielle principale. Or, que la pierre puisse agir sans intermédiaire sur un objet distant, c’est ce que nous nous proposions de démontrer. »

Par cette critique, Ockam s’insurge malencontrusement contre la théorie averroïste des actions magnétiques, si conforme à celle que nous admettons depuis Maxwell ; mais en revanche, il prépare les esprits à regarder comme possible l’action qu’un corps exercerait à distance sur un autre corps sans emprunter l’intermédiaire d’aucun milieu ; or c’est une semblable action que Newton concevra pour expliquer l’universelle gravité ; ce sont de semblables actions que Coulomb, Poisson, Ampère supposeront entre deux corps électrisés, entre deux aimants, entre deux courants électriques, entre un courant et un aimant ; en rejetant l’axiome péripatéticien au gré duquel aucune action ne se produit s’il n’y a contact mathématique entre l’agent et le patient, le Venerabilis inceptor ouvre une voie où la science fera plus tard d’immenses progrès.

Ockam s’attache à établir de toutes manières qu’une chose peut agir sans intermédiaire sur une autre chose éloignée, alors que cette proposition répugnait aux axiomes de la Dynamique péripatéticienne. « Un agent, dit-il[1] peut agir immédiatement sur un objet distant sans agir sur le milieu, lors même que le milieu est susceptible d’éprouver un effet de même nature…

» Le soleil, par exemple, échauffe la terre et la partie de l’air qui avoisine le sol ; cependant, il n’échauffe pas la région moyenne de l’air, car c’est là que le froid atteint son maximum ; or l’air est susceptible d’être échauffé, puisqu’il est naturellement chaud. »

Que le soleil échauffe et éclaire directement la terre ; que sa lumière, pour venir jusqu’à nous, n’emprunte aucun intermédiaire, qu’elle ne soit pas propagée par l’air, Ockam en donnait une preuve qu’un de ses disciples anonymes nous rapporte.

  1. Guillaume d’Ockam, loc. cit.