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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Traité du Ciel que Saint Thomas a laissé inachevé ; on peut donc dire qu’il nous apporte la pensée dernière et définitive du Doctor communis. Voici ce texte[1] :

« Il ne faut point supposer que le moteur qui produit la violence imprime dans la pierre mue violemment une certaine vertu qui meuve cette pierre, de même que la chose qui engendre produit dans la chose engendrée une forme dont dépend le mouvement naturel de celle-ci. S’il en était ainsi, en effet, le mouvement violent proviendrait d’un principe intrinsèque au mobile, ce qui est contraire à la notion même de mouvement violent. En outre, il en résulterait que la pierre, par le fait même qu’elle se meut de mouvement local, serait altérée dans sa forme substantielle, ce qui est contraire au bon sens.

» Le moteur qui meut violemment imprime donc à la pierre seulement le mouvement, ce qui a lieu pendant que le moteur est au contact de la pierre. Mais l’air est plus susceptible de recevoir une telle impression, soit parce qu’il est plus subtil, soit parce qu’il est doué d’une sorte de légèreté ; il est donc mû plus rapidement que la pierre par l’impression que lui communique le moteur, producteur de la violence ; lorsque ce moteur violent cesse d’agir, l’air mû par lui pousse la pierre et la fait avancer ; il pousse aussi l’air qui lui est conjoint, et celui-ci pousse la pierre plus loin ; et cela a lieu tant que dure l’impression du premier moteur violent comme il est dit au VIIIe livre des Physiques. Il revient au même de dire ceci : Bien que le moteur qui a produit la violence ne suive pas le mobile qui est transporté par cette violence, la pierre, par exemple, de telle manière qu’il la meuve en lui demeurant présent, il la meut, toutefois, par l’impression communiquée à l’air (per impressionem aeris) ; s’il n’existait pas de corps tel que l’air, il n’y aurait pas de mouvement violent. Il est donc évident que l’air est l’instrument nécessaire du mouvement violent ; il ne contribue pas seulement à la perfection (propter bene esse) de ce mouvement. »

Maintenant, il est impossible, croyons-nous, de méconnaître la pensée de Thomas d’Aquin. Dans la pierre lancée, il n’y a aucune qualité, aucune forme, aucun impetus imprimé par le moteur. Mais le moteur imprime une telle qualité à l’air qui entoure le projectile. Toutes les comparaisons où le langage vulgaire parle de la vertu conférée au mobile par celui qui le

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Commentaria in libros Aristotelis de Cælo et Mundo ; lib. III, lect. VII.