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LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

« Pour nous, poursuit Averroès[1], affirmons qu’entre le moteur et la chose mue, il faut qu’il y ait résistance. Le moteur, en effet, meut la chose mue en tant qu’il lui est contraire, et le mobile est mû par le moteur en tant qu’il lui est semblable. Tout mouvement suit l’excès de la puissance de moteur sur la chose mue ; toute variété de vitesse ou de lenteur suit le rapport de ces deux puissances.

» Cette résistance provient du mobile lui-même lorsque le mobile se meut de lui-même, volontairement, et se divise en moteur en acte et chose mue en acte ; c’est la disposition qui se rencontre dans les animaux et dans les corps célestes.

» Cette résistance, au contraire, peut provenir du milieu au sein duquel le mobile se meut ; c’est ce qui a lieu lorsque le mobile ne se divise pas en moteur en acte et chose mue en acte ; c’est la disposition que présentent les corps simples…

» Les êtres pour lesquels le mobile se meut de lui-même et se divise en moteur en acte et chose mue en acte n’ont pas nécessairement besoin d’un milieu [résistant] ; s’il y en a un, ce sera d’une manière accidentelle.

» Les êtres, au contraire, qui se meuvent d’eux-mêmes mais ne se laissent pas diviser en moteur en acte et chose mobile en acte, requièrent nécessairement un milieu résistant ; ce sont les corps graves et les corps légers. S’ils ne se trouvaient pas en un milieu résistant, ils accompliraient leur mouvement en un temps nul ; en effet, il n’existe plus rien en acte qui résiste à la puissance motrice ; et il est impossible qu’ils prennent leurs mouvements naturels s’ils ne sont continuellement gênés. Voilà pourquoi, si nous les mettions dans le vide, il arriverait qu’ils accompliraient leur mouvement en un temps nul, et qu’un corps plus lourd se mouvrait avec la même vitesse qu’un corps plus léger, ce qui est impossible.

» Impossible aussi est donc ce qu’à pensé Avempace, que, sans milieu résistant, les corps simples ont leurs mouvements naturels. »

Ibn Roschd s’est efforcé de tout son pouvoir à réfuter la théorie d’Ibn Bâdjâ ; mais, ce faisant, il lui a rendu un inestimable service. Il a inséré cette théorie dans ses Commentaires et, par l’exposé détaillé qu’il en a donné, par la longue discussion qu’il lui a consacrée, il l’a mise en telle évidence que le

1. Aristotelis De physico auditu libri VII ! cum Averroïs Cordubensis üiiars in eosdem commentariis. Çommentaria magna, lib. IV, comm. 71.

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