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LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

La pensée qu’il veut expliquer, Averroès déclare[1] qu’ « elle est manifeste aux sens dans le mouvement de l’eau où l’on a jeté une pierre. Nous voyons, en effet, la partie de l’eau qui est contigüe à la pierre se mouvoir tout autour de ce corps ; puis le mouvement passe de cette partie à la suivante, de celle-ci à une autre, et ainsi de suite jusqu’à ce que ce mouvement prenne fin. Les parties de l’eau ne se meuvent pas toutes ensemble comme se mouvraient les parties d’un corps de figure invariable ; cela se voit par les rides circulaires qui se font dans l’eau où une pierre est tombée. »

Si ce mouvement était semblable au mouvement des corps mobiles que terminent des figures invariables, il faudrait que toutes les parties de l’eau ou de l’air, du commencement à la fin, fussent mues en même temps et qu’elles se trouvassent chassées à la fois dans le Monde entier, de telle sorte qu’il y eût dans tout l’Univers une onde instantanée ; sinon, il y aurait pénétration mutuelle des corps, ce qui est impossible. Mais les corps dont il s’agit peuvent être condensés ou raréfiés par l’action des corps extérieurs ; lorsqu’ils sont condensés, ils éprouvent une certaine pénétration en leurs propres parties. En effet, si elles n’éprouvaient aucune pénétration, il faudrait que le mouvement de toutes ces parties fût simultané et que la borne ultime du Monde fût-elle même chassée. Si, au contraire, ces parties se pénétraient parfaitement les unes les autres, il n’y aurait mise en mouvement que d’un volume d’eau égal au volume que la pierre vient occuper.

Averroès a fort bien reconnu cette vérité que Descartes devait retrouver sans la faire admettre de la plupart de ses contemporains, et qui est devenue une des propositions essentielles de notre Hydrodynamique : Pour qu’au sein d’un fluide, une onde se propage avec une vitesse finie, il faut que le fluide soit compressible ; dans la masse d’un fluide incompressible, une perturbation se fait sentir instantanément à toute distance, si grande soit-elle. Seulement, il n’a pas su se garer d’une fausse analogie. Des ondes qui se peuvent propager, telles les ondes sonores, dans l’intérieur même d’une masse fluide, il a rapproché les ondulations qui se montrent à la surface d’un liquide ; et comme ces ondulations se propagent avec une vitesse finie, il s’est cru autorisé à en conclure que l’eau était compressible comme l’air. Peut-on lui reprocher cette comparaison fâcheuse ? N’entend-

  1. Averrois Cordubensis Op. laud., lib. VIII, summa IV, comm. 82.