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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

ces deux explications sans décider entre elles ; c’est au sujet de la seconde qu’il tient le langage suivant :

« L’air qui porte le projectile est encore mû par l’instrument de jet même après qu’il se trouve séparé de cet instrument ; voici pourquoi : Il est dans la nature de l’air de recevoir d’un autre corps la propriété d’être en mouvement et de la retenir longtemps après qu’il est séparé du moteur. Il la retient en vertu de sa forme. C’est-à-dire qu’après qu’il est séparé de l’instrument de jet, il continue d’être mû par sa propre forme naturelle, tandis qu’avant cette séparation il était mû par deux moteurs à la fois, par l’instrument de jet et par sa propre forme. C’est pourquoi son mouvement est nécessairement plus rapide que le mouvement du projectile. Le projectile, en effet, n’a pas en soi le principe de son mouvement ; son mouvement est purement violent. L’air, au contraire, a en soi un principe de mouvement, comme nous l’expliquons ailleurs. »

Attribuer à l’air une forme qui lui permet de rester en mouvement après que l’instrument balistique est retombé au repos, refuser au projectile la possession d’une forme semblable, c’est assurément le point le plus scabreux de la théorie d’Aristote. A l’envi, les commentateurs grecs du Philosophe se sont efforcés de rendre vraisemblable l’attribution à l’air d’une telle propriété ; cette forme, cette énergie cinétique communiquée, ils l’ont successivement comparée à l’aimantation et à la chaleur ; mais ils n’ont rien dit qui fût propre à écarter cette objection : Pourquoi le projectile solide ne recevrait-il pas, lui aussi, une telle énergie cinétique ? Pourquoi la possession de cette énergie est-elle réservée aux fluides ?

Averroès, à son tour, va s’efforcer de dire ce qu’est cette forme qui entretient le mouvement de l’air ; sur les explications de ses prédécesseurs, les considérations qu’il développera auront du moins un avantage ; elles rattacheront la possession de cette forme à une propriété que l’air possède et que le projectile rigide ne possède pas ; elles en feront une conséquence de la compressibilité et de l’élasticité de l’air.

Si l’on veut bien comprendre les considérations d’Averroès, il faut lui accorder une proposition dont il ignorait la fausseté : C’est que l’eau est compressible à la façon de l’air, en sorte qu’une compressibilité et une élasticité notables sont l’apanage de tous les fluides, tandis que les solides en sont privés.